Parution Avril 2001


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Pascal Commère
La grand’soif
d’André Frénaud


Essai

2001. 120 p. 14/19.
ISBN 978.2.86853.331.9

13,60 €

Le livre

Je relis André Frénaud. Assurément, il coule beaucoup de vin en ces pages. Notamment dans les trois premiers livres (Il n’y a pas de paradis, Les Rois mages, La Sainte Face) où il affleure dans maints poèmes, tenu dans l’ombre de la voix, prêt à faire irruption, à épouser la chair des mots... Profitant — à moins qu’il ne le génère, comme s’il s’agissait d’un autoportrait en creux — d’un étrange dédoublement, avec la présence de l’Autre (Il) dans le miroir. Cet autre à qui s’adressent au soir les ivrognes, en leur grande solitude, amusant en même temps qu’apeurant les enfants, attirés par cette déroute de propos à bâtons rompus avec le vide. Que saura-t-on de lui, sinon qu’il ressemble comme deux gouttes d’eau au poète ? Qui plus est :
Il mâche avec mes dents.
Il boit plus que ma part.





L’auteur

Pascal Commère, né en 1951, travaille en Bourgogne. Il vit à la campagne et publie depuis 1978. Bourse Del Duca pour son premier roman (Chevaux, Denoël, 1987) et Prix de poésie Guy Levis Mano 1990. Deux de ses livres de poèmes, Les commis et Graminées (2007) ont paru à nos éditions, auxquelles il avait précédemment donné deux livres de «salutations» : La grand’ soif d’André Frénaud, 2001, D’un pays pâle et sombre, 2004, et quatre recueils de récits : Solitude des plantes, 1996, Le grand tournant, 1998, Le vélo de saint Paul, 2005, Les larmes de Spinoza, 2009, Noël hiver, 2010 et Lieuse, 2016. Une importante anthologie personnelle de sa poésie a paru en 2012 en coédition avec Obsidiane : Des laines qui éclairent (1978-2009).



Extrait

Selon l’humeur du poème — toujours étroitement lié à sa vie, ses états d’âme, selon l’époque aussi —, le mot vin prend des connotations différentes, voire contraires. Comme chez Frénaud lui-même, il oscille, par tempérament sans doute — mais aussi selon la température, dirions-nous, selon que le vin est plus ou moins chambré —, entre une sorte d’embrasement de l’être et un refroidissement où pointe la désillusion, l’à quoi bon; puis ça repart, le feu qui couvait rallume ses brûlots... Tantôt vin solitaire — mais ne l’est-il pas toujours ? Puisque selon l’illustre vigneron Jules Chauvet : «Il faut être seul avec le vin» —, vin du manque-à-vivre («Je tue le temps au vin rouge, à la délicatesse...») tantôt victorieux, fraternel, au coude à coude comme une foule en liesse. Vin qui ouvre, vin qui emprisonne... Vin populaire, vin des rues — pour quelle célébration ? Sans quoi la fête ne serait pas ce qu’elle est. Frénaud ne lésinant jamais sur la quantité, ni sur la couleur — rouge évidemment, rouge comme l’emportement, l’illusion partagée. Rouge qui donne du teint aux joues et du ton à la voix, ce côté sanguin qu’on reconnaît aux chevillards de campagne. Tel goût pour les abats et la vvviande, comme il prononçait, enfant, au grand désespoir de sa mère... Rouge sang-de-bœuf, avant qu’il ne vire au bleu. Ainsi du poème 14 juillet :

Le rouge des gros vins bleus,
la blancheur de mon âme,
Je chante les moissons de la République
sur la tête des enfants sages
le soir du quatorze juillet.
Et l’ivresse de fraternité des hommes dans les rues,
aux carrefours des rêves de la jeunesse
et des soupirs de l’âge,
au rendez-vous de la mémoire et des promesses,
dans le reverdissement de l’espoir par la danse.
(...) C’est aujourd’hui ! Nous le partageons en un banquet,
sur de hautes tables avec des litres.
Le monde est en liesse, buvons et croyons !
Je bois à la joie du peuple, au droit de l’homme
de croire à la joie au moins une fois l’an.
À l’iris tricolore de l’œil apparaissant
entre les grandes paupières de l’angoisse.
À la douceur précaire, à l’illusion de l’amour.


Ah oui, «buvons et croyons !» Comme si le vin, par l’abandon auquel il prédispose et l’enthousiasme qu’il soulève, portait naturellement l’être vers l’utopie, contrées propices à l’effusion. Plus communément, imaginerait-on refaire le monde sans un verre à la main... Ce qui n’advient pas sans partage, associé ici au «banquet», et non sans démesure. Agapes où chacun se tient coudes sur la table, à moins que l’on ne communie debout... Les «litres» disant assez, par leur connotation tant quantitative que populaire, que l’on ne manque de rien. Pas de vin en tout cas... Car avant d’être un nom sur une étiquette — fût-il prestigieux —, il n’en demeure pas moins LE vin, comme il y a la Chair, comme il y a la Parole. Frénaud est d’une époque où l’appellation ne prenait pas toute la place. Le vin était... divin, le nom venait ensuite. L’œnologie n’avait pas encore inventé son jargon d’expert — et l’aurait-elle fait que les poètes s’en foutaient, délaissant les pincettes…

Autres titres du même auteur :

Les oiseaux de Sens (avec Emmanuel Berry, 2006)
Les commis (nouvelle édition, 2007)
Graminées (2007)
Les larmes de Spinoza (2009)
Noël hiver (2010)
Le petit cheval d’Ostrava (2011)
Des laines qui éclairent – Une anthologie 1978-2009 (2012 — coll. Les analectes en coédition avec Obsidiane)
Lieuse (2016)
Ainsi parle le mur (2022)
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