Parution Février 2010


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Pascal Commère
Noël hiver


Histoires
2010. 72 p. 14/19.
ISBN 978.2.86853.528.3

14,00 €

Le livre

«Il n’est pas déraisonnable de penser que, marchant, nous allons vers les mots. Les mots qui disent l’origine et le but ultime, quoique l’enjeu de notre marche, assez obscur, pût sembler manquer certains jours de vigueur et tout autant de certitude. Nous allons vers les mots parce que nulle part ailleurs nous ne pouvons réchauffer cette part de nous qui a froid, que ce qu’ils laissent passer, qui est et n’est pas notre histoire, touche à quelque chose d’essentiel dans notre vie et que cela constitue à sa façon une manière d’espoir. Quand bien même l’espoir n’aurait point — et le faut-il ? — élu encore le domaine à investir. Nous marchons dans la neige et cela, disons-le, s’apparente à notre raison d’être ici, indépendamment de la direction envisagée.»


L’auteur

Pascal Commère, né en 1951, travaille en Bourgogne. Il vit à la campagne, écrit régulièrement et publie depuis 1978. Bourse Del Duca pour son premier roman (Chevaux, Denoël, 1987) et Prix de poésie Guy Levis Mano 1990. Ses plus récents livres de poèmes, Les commis et Graminées (2007) avaient paru à nos éditions auxquelles il avait précédemment donné deux livres de «salutations» : La grand’ soif d’André Frénaud, 2001, D’un pays pâle et sombre, 2004, et quatre recueils de récits : Solitude des plantes, 1996, Le grand tournant, 1998 et Le vélo de saint Paul, 2005, Les larmes de Spinoza, 2009.


Extrait

Dans la neige

En raison de l’hiver, tenace cette année-là, le marchand jugea utile de rapatrier les bêtes vers les étables. Je suivis donc les hommes dans la montagne. Et c’est au regard de cette circonstance, somme toute ordinaire, et parce que cela tombait un jour de repos, que l’on me laissa partir avec eux au matin, pour une mission qui ne devait nous retenir qu’une partie de la journée. Il avait neigé, beaucoup neigé, à tel point que nos bottes, et les miennes plus encore du fait de leur petite taille, s’enfonçaient de toute leur hauteur. La casquette rabattue sur les oreilles à la façon des commis, je peinais à les suivre, plaçant mes pas dans les leurs et serrant comme eux l’habituel bâton d’épine dans une main tandis que l’autre se réchauffait dans la poche de ma pelisse.

Je n’ai pas su. Pas plus que je n’ai pris conscience plus tard que ma vie avait commencé dans la neige. Cette neige qui, tombant sans arrêt depuis la veille au soir, effaçait nos pas à mesure. J’ai marché. À quelques mètres devant moi les hommes s’arc-boutaient dans le froid, sans qu’aucun d’eux ne songeât à regarder en arrière. Avaient-ils conscience de la dureté du vent, de la neige, eux que la terre avait accompagnés jusqu’alors, endurcis ? Savaient-ils seulement que je les accompagnais. D’autant que tous ne parlaient pas notre langue, si tant est qu’un seul d’entre eux eût formé quelques bribes d’un langage dont ils ne connaissaient à eux tous que de rares expressions usées au fil des jours, tout à la lecture des traces de sabots sous nos pieds, lesquelles s’enfonçaient avant de se mêler aux broussailles et disparaissaient pour reparaître plus loin, dans un piétinement
qui semblait soumis à une poussée de fièvre, emmêlées, telle une écriture étrange, difficile à déchiffrer.

Par crainte d’éventuelles réprimandes du marchand, l’idée de redescendre sans le troupeau ne serait venue à personne. Pas plus que de planter nos pas au milieu de la neige, d’abandonner toutes recherches. Mais sans doute s’agissait-il de tout autre chose, quoique rien de cela ne fût signifié entre eux ni autour d’eux. Ou, disons-le, d’un accord tacite entre les hommes par lequel ils s’engageaient eux-mêmes, eux et leur parole, et qui prenait en compte l’hiver tout entier et le froid. Comment dire autre ? Du lien qu’un pays minuscule avait tissé avec les hommes, leurs usages. Avec les bêtes.