Parution 2009


    Accueil

    Parutions

    Auteurs

    Œuvres

    Bibliophilie

    Commande

    Recherche

    La maison

    Autres fonds

    Liens

    Chronique

    Lettre d’info


    Livres de photographie

Pascal Commère
Les larmes de Spinoza


Histoires

2009. 112 p. 14/19.
ISBN 978.2.86853.524.5

16,00 €

Le livre

Nous ne sommes pas seuls. Des êtres nous accompagnent sur la page, marchant à nos côtés depuis les premiers balbutiements, alors que le geste d’écriture n’est pas encore sorti du brasier qu’il nourrit. Les raisons qui le motivent demeurent lointaines. Et obscures. Pour le lecteur, aussi bien que pour le narrateur — tout jeune garçon d’abord, avant qu’il ne découvre qu’écrire questionne précisément ce mystère.
Sans prétendre déceler l’origine d’un tel geste, il arrive que s’imposent à nous certains instants étroitement liés à ce besoin vital qui ne nous quittera plus, comme à la manifestation de son désir. Essentiels instants, quoique prélevés dans la vie de tous les jours, qui désignent le chemin, s’ils ne l’ont pas tracé. Et d’où surgissent, en un monde avivé du seul pouvoir des mots, bien que peu ouvert aux livres, quelques-unes des silhouettes qui, pour n’avoir pas toujours mesuré la portée de l’engagement ni partagé sa réelle nécessité, ne l’ont pas découragé. Au point d’en accompagner les premiers pas, secrètement, et, chacune à sa façon, d’en favoriser les prémices.



L’auteur

Pascal Commère, né en 1951, travaille en Bourgogne. Il vit à la campagne, écrit régulièrement et publie depuis 1978. Bourse Del Duca pour son premier roman (Chevaux, Denoël, 1987) et Prix de poésie Guy Levis Mano 1990. Ses plus récents livres de poèmes, Les commis et Graminées (2007) avaient paru à nos éditions, auxquelles il avait précédemment donné deux livres de «salutations» : La grand’ soif d’André Frénaud, 2001, D’un pays pâle et sombre, 2004, et trois recueils de récits : Solitude des plantes, 1996, Le grand tournant, 1998 et Le vélo de saint Paul, 2005.



Extrait

Maria

J’ai franchi le portail. J’étais seul. Il faut du temps pour être plusieurs, apprendre à dire nous. Sur la tombe je ne me suis pas attardé. Pour dire vrai, je l’ai contournée. Des fois que je ne puisse plus m’en détacher. En semaine on ne croise pas grand monde. J’ai oublié. Sauf le cri de rouille de la grille en l’ouvrant. Mais je ne me suis pas retourné. Vous comprenez. Par les allées j’ai filé vers le fond. Là où une falaise reconstituée rappelle qu’il y a longtemps l’une des filles du château, la plus jeune, est tombée d’un rocher dans la mer. Gabrielle elle s’appelait, son nom figure en lettres capitales au-dessus du portail. Orthographié au masculin. Comme si une jeune fille n’avait pas le droit de donner son nom à un cimetière, quand elle en est la première occupante. Puis direction le caveau, dans l’ombre de la falaise. Deux ou trois chauve-souris pendaient accrochées au plafond. Mais je ne vais pas tout raconter.

D’autant qu’une composition française doit être brève en classe de quatrième. Et ce que je cherche aujourd’hui se tient en face, dans le mur. C’est une porte. Une vieille porte en bois. Je l’ai tirée. C’est alors que Maria est apparue, aussitôt. Toute petite là-bas sous les tilleuls, à l’entrée de la Grande allée. Je pourrais dire que c’était la première fois, mais ce n’est pas vrai. Puisque je l’attendais. Comme presque toujours je guette sa venue, faisant mine de me cacher pour la mieux surprendre. J’ai appuyé mon épaule au chambranle. Et ça faisait longtemps déjà. Longtemps que j’avais vu Maria avancer sous les arbres, une couronne de lierre à la main. Ou de marguerites. Des marguerites toutes blanches avec un cœur jaune. Mais je dois prendre un peu de recul, quoiqu’elle ne puisse pas me voir d’où elle est. C’est cela qui importe.

J’ai fermé les yeux. Le temps de la laisser approcher. Soudain elle a eu ce geste de la main de relever une mèche tombée de son chignon en travers de son visage. Je la retrouvais tout entière. Elle dont je n’ai jamais respiré le moindre parfum quand je l’embrasse, hormis, sur ses joues où court un fin duvet, une odeur de bois brûlé et de cendres, le parfum de sa peau qui sent celui du lieu, aujourd’hui encore, qui est l’odeur de la grande cuisine du château où je viens m’asseoir le jeudi, absorbant à la fin de ma besogne une verrée de café mâtiné de chicorée qu’elle me sert en remerciement, quoiqu’elle ne dise rien de cette façon d’échange, qui peut-être n’en constitue pas une à ses yeux, tenant à ne pas établir comme un troc entre nous l’échange du liquide clairet et la brouettée de bois que je fends au bûcher à chacune de mes venues. Après quoi elle m’offre une pomme, d’une espèce ancienne, Canada, Calville ou Belle de Boskoop, qu’elle s’en va quérir dans une pièce derrière l’office, qui fut et s’appelle encore la chapelle et où les fruits reposent, l’hiver, sur des journaux étendus à même le sol. Dans les années qui suivront, elle ajoutera un paquet de cigarettes, prétextant que je l’ai gagné, à moins que rapportant de sa chambre un porte-monnaie noirci elle n’en sorte une grosse pièce qui brille pour marquer le passage vers la nouvelle année.
(…)