Nouveauté Juin 2003


    Accueil

    Parutions

    Auteurs

    Œuvres

    Bibliophilie

    Commande

    Recherche

    La maison

    Autres fonds

    Liens

    Chronique

    Lettre d’info


    Livres de photographie

Jacques Chauviré
Élisa


Récit
2003. 80 p. 14/19.
ISBN 978.2.86853.386.9

12,00 €

Le livre

Il y avait toujours beaucoup de femmes autour de moi à la maison : maman, grand-mère, Marguerite, une cousine âgée de mes grands-parents, surnommée «la Coucou». Toutes, sauf grand-mère, m’étaient favorables. Et maintenant, en plus, il y avait Élisa que je ne quittais guère.
Elle eut, un soir, comme je montais me coucher, la faiblesse de m’embrasser. Je ne fus qu’à peine étonné. Dans les jours qui suivirent il m’arriva d’aller quêter auprès d’elle mon baiser du soir. Au fil des jours cela me devint nécessaire. J’étais, me semblait-il, mieux qu’un compagnon.




L’auteur

Jacques Chauviré est né en 1915 près de Lyon où il a fait ses études, et fut médecin généraliste pendant quarante ans à Neuville-sur-Saône où il est mort en 2005. En littérature, il fut l’ami de Jean Reverzy (qui avait été son condisciple), de Claude Roy et d’Albert Camus (qui fit publier en 1958 son premier livre, Partage de la soif — réédité en 2000 par Le Dilettante).
Il est l’auteur de cinq autres romans publiés initialement par Gallimard : Les passants (réédité en 2001 par Le Dilettante), La terre et la guerre, La confession d’hiver, Passage des émigrants (réédité en 2003 par Le Dilettante), Les mouettes sur la Saône (réédité en 2004 par Le temps qu’il fait), et de deux recueils de nouvelles : Rurales (avec des illustrations de Jacques Truphémus, Maison du Livre de Pérouges, 1983) et Fins de journées (Le Dilettante, 1990).



Extrait

Élisa arriva par un matin du début d’automne. J’avais cinq ans. À la cuisine, accoudé à l’appui de la fenêtre je la vis apparaître dans le jardin. Elle montait la petite allée qui suivait le bord du ruisseau. Mon père était mort à la guerre. Nos grands-parents nous avaient recueillis, maman, mon frère et moi. Tout autour de la maison s’étendait la campagne. Le hameau abritait le logis et la cour de M. Langlois, le maçon, et la ferme de M. Deleau.
— Tiens, dit maman qui se trouvait derrière moi, nous ne l’attendions que dans l’après-midi. Elle est venue par la route, le chemin aurait été plus court par les bords de l’étang.
Elle était vêtue d’une blouse noire et portait un maigre bagage. Elle approcha, passa sous les branches basses du châtaignier de la terrasse. Maman ouvrit la porte du hall.
Maman lui dit :
— Bonjour, jeune fille.
Puis elle se reprit :
— Bonjour Élisa.
Et de s’enquérir aussitôt de ses parents :
— Comment vont-ils ? Et vos frères, Julien et Joannès ?
Elle répondit en souriant que son père était fatigué et ne pouvait plus travailler au «chemin de fer». Il s’occupait seulement du jardin. Quant à sa mère elle assurait toujours la garde du passage à niveau du petit train qui unissait Lyon à Jassans.

Je connaissais un peu Joannès. Il était plus grand que moi. Il avait au moins dix ans. Assisté de sa chienne Follette il surveillait ses quelques moutons qui broutaient près de la voie ferrée. De temps en temps, pour se distraire de sa solitude, il entonnait au clairon quelque air qui se voulait guerrier.
En 1920, dans la campagne française, tout enfant était encore quelque peu militaire.

Ainsi songeais-je un instant au frère d’Élisa alors qu’elle se trouvait encore dans le hall auprès de maman. Plutôt méfiant, distant, en apparence indifférent, j’examinais avec attention cette jeune personne qui allait bientôt entrer dans le quotidien de ma vie.
Quel âge pouvait-elle avoir ? Il m’était difficile de répondre à cette question. Il me semblait que maman avait dit «dix-huit ans».
Je la regardais avec intensité. Son nez court était mignon, ses lèvres belles et ses yeux admirables dans leur regard étrange entre le bleu et le vert. Elle avait vivement relevé du haut de son front ses cheveux noirs pour les rassembler en un chignon sur sa nuque.
Sa blouse était boutonnée jusqu’au bas. Je remarquai à des riens, à quelques sourires, que je ne paraissais pas lui être lointain quand, peut-être pour se donner une contenance ou s’assurer de mon amitié, elle prit ma main.
C’est alors que j’entendis grand-mère descendre l’escalier. Aussitôt sa main m’abandonna. On m’invita à m’éloigner dans le jardin. J’entendis encore ma grand-mère dire :
— Vous ne serez pas seule. Nous avons déjà une bonne. Elle s’appelle Marguerite. La pauvre fille vient du Limousin. Elle ne trouve pas de travail là-bas. Son fiancé a été tué à la guerre.
Dans l’instant je ne sus rien des ordres ou conseils que grand-mère avait l’intention de donner à Élisa. Elle avait coutume de répéter que «lever à six, coucher à dix font vivre dix fois dix». Je n’étais pas encore assuré que le compte final permît d’atteindre cent ans. J’estimais toutefois que, dans ces délais, il resterait peu de temps pour le repos, le sommeil et le jeu. Je comprenais que les tâches qui seraient confiées à Élisa ne seraient pas différentes de celles que je voyais accomplir à Marguerite et à grand-mère, encore très ardente dans les soins du ménage. Une femme d’ordre.
Vers la fin de la matinée le ciel se couvrit et une pluie fine commença à tomber sur le jardin. À la fois curieux et inoccupé je traînais dans la maison. Élisa essuyait les meubles de la salle à manger. J’aurais aimé savoir qui elle était et qui elle allait être. Je demeurais encore sur mes gardes en observateur discret. Il ne semblait pas qu’elle prêtât attention à ma présence insistante bien que ponctuée d’allers-retours.
En raison de la fraîcheur et de l’humidité grand-mère voulut qu’on allumât du feu dans la cheminée de la salle à manger qui était aussi salle de séjour.
— Veux-tu m’accompagner, me dit Élisa. Allons ensemble chercher des bûches dans le hangar.
Elle me parut gaie et déterminée et aussitôt elle me prit la main avec une sorte de joyeux empressement qui m’étonna quelque peu mais me flatta tout de même. Nous revînmes à la maison en courant sous la pluie, les bras chargés.

Autres titres du même auteur :

Les mouettes sur la Saône
Journal d’un médecin de campagne
Massacre en septembre
La confession d’hiver
La terre et la guerre
Fils et mère