Le livre
« Flâner est une science, c’est la gastronomie de l’oeil. Se promener c’est végéter, flâner, c’est vivre » écrit Balzac soufflant par ces mots sa méthode à l’auteur : celle-ci n’a pas arpenté, pas inventorié les sites présumés immanquables, elle n’a pas épuisé ce quartier de Paris qui ne couvre pourtant qu’une partie de l’arrondissement particulièrement artistique, le neuvième, où elle vit. Les rues l’occupent car « il y a beaucoup de morts dans les rues de Paris. On ne le sait pas assez. Dieu merci, ce sont surtout des hommes » , elle s’intéresse aux places, à un passage, une cité, mais aussi aux églises, aux squares, aux hôtels particuliers et, pour finir, elle ressuscite des lieux perdus, effacés par le temps, l’évolution des mœurs ou la démolition. Elle s’étonne, s’amuse, raille quelquefois et se souvient de ce que la littérature conserve, de plus ou moins caché, entre les pages du grand livre de la ville.
On suit avec jubilation ce guide fort peu touristique, qui sait comme nul autre tenir notre curiosité en éveil par une érudition soutenue mais jamais pesante, et un humour constant.
L’auteur
Bénédicte Cartelier, née en 1970 à Paris, est haut-fonctionnaire. Elle collabore depuis plusieurs années à la revue Papilles éditée par l’association des Bibliothèques gourmandes. Après Ripopée (Le temps qu’il fait, 2018), Reliefs (id., 2021) et Oublier Lubin (id., 2022), c’est le quatrième livre de l’auteur que nous publions ici.
Extrait
J’étais enfant. J’avais sept ans, ma sœur neuf. Je me souviens parfaitement de cet après-midi d’été où j’ai réalisé brutalement que ma sœur allait franchir la barre symbolique j’allais dire fatidique des dizaines. Deux chiffres ! Ma sœur aurait donc dix ans. Dix ans, autant dire onze, douze, puis fatalement treize ! Cela me paraissait impossible en même temps qu’inéluctable. Je savais que ça arriverait, que je ne pourrais l’empêcher, mais je luttais de toutes mes forces. C’était trop tôt. Il me semblait avoir déjà treize ans. Treize, chiffre maudit, j’étais superstitieuse certes (et quel enfant ne l’est pas ?) mais la mère d’une amie de ma sœur, plus âgée qu’elle, avait mis en garde notre mère sur les difficultés que posent les enfants à cet âge, les filles surtout. Vous verrez ! lui avait-elle dit, et cet avertissement lourd de sous-entendus, avait résonné comme un glas.
Après cela, vous comprenez pourquoi j’aime tant demeurer dans le IXe. Je n’irai pas au-delà. Une seule fois, je me suis aventurée dans le XVIe arrondissement. C’était près de l’ancien château de la Muette, une sorte de vitrine perchée tout en haut d’un immeuble orné de mosaïques qui donnait sur une voie privée. Le jour, les vitres tremblaient au passage des autos et la nuit, j’entendais le métro rouler sous le plancher. J’avais l’impression de vivre au-dessus d’un volcan. Je n’y suis pas restée longtemps et me suis réfugiée au cœur du colimaçon parisien, le IIIe d’abord, puis le VIe, le VIIe et, enfin, le IXe, ancien IIe arrondissement du Paris d’avant 1860, donc tout va bien.