Jean-Yves Laurichesse
Le destin d’un poète
Roman
2025. 232 p. 14/19.
ISBN 978.2.86853.725.6
23,00 €
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Le livre
« Ce sont ces notes que j’ai retrouvées il y a une vingtaine d’années. Je les ai à côté de moi, sur mon bureau. Elles sont encore imprégnées de l’odeur de vieille maison. J’avais cru alors qu’elles concernaient ce roman que mon père m’avait dit avoir détruit après la guerre. Je me trompais. À présent que j’ai lu La marche à l’étoile, je comprends qu’il s’agissait d’un projet plus ancien, d’avant-guerre, comme d’ailleurs tous les poèmes achevés ou en gestation au milieu desquels ces notes se trouvaient. »
Voici l’histoire vraie d’un écrivain rendant justice à son père qui, pris dans les mouvements contraires de l’Histoire, des années trente à la Guerre qui le conduira en captivité, fut empêché de le devenir, en dépit d’une solide vocation et d’un travail certain. Le fils publie ici le roman demeuré inédit de son père, avec lequel il dialogue par échos, souvenirs, réflexions tout en se tenant à bonne distance du commentaire critique. Il mêle sa voix claire à celle un peu désuète du roman qu’il sauve de l’oubli, il entraîne le lecteur du récit de fiction au récit de filiation et, loin de se cantonner à une exercice purement littéraire, il accomplit un geste d’amour et de reconnaissance.
L’auteur
Jean-Yves Laurichesse est né en 1956 à Guéret. Ses sept précédents romans, Place Monge, Les pas de l’ombre, L’hiver en Arcadie, Les brisées, La loge de mer, Un passant incertain et Retour à Oppedette ont paru à nos éditions depuis 2008. Il est également professeur de littérature française à l’Université Toulouse-Jean Jaurès et auteur de plusieurs essais de critique littéraire (sur Giono, Claude Simon, entre autres).
Extrait
Je savais que mon père avait écrit dans sa jeunesse. Quand j’étais encore adolescent, que je commençais moi-même à écrire de la poésie et que je lui avais fait lire quelques textes, il m’avait donné des photocopies de poèmes tapés à la machine qu’il avait composés dans les années trente, alors qu’il était étudiant à Paris. De beaux poèmes sensuels, la plupart en alexandrins, quelques-uns en prose, exaltant la nature et les corps, comme pouvait en écrire un jeune homme doué, imprégné de Baudelaire, de Rimbaud, de Valéry, de Gide. Je pense qu’il avait voulu par ce geste manifester sa sympathie pour mes premiers élans, sceller en quelque sorte notre proximité en poésie. Puis nous avions parlé d’autre chose.
Plus tard, je devais être alors étudiant en lettres, il m’avait dit avoir tenté d’écrire un roman après la guerre, mais qui ne le satisfaisait pas et qu’il avait détruit. Bien plus tard encore, dans les années 2000, alors que, très âgé et affaibli, il ne pouvait plus se rendre dans la maison de famille où il avait grandi, en Corrèze, j’y passai quelques jours et entrepris d’en explorer les placards, secrétaires, armoires, remplis de cette pénétrante odeur d’humidité qui semble l’odeur même du temps. J’y trouvai, entre autres archives, des chemises entières de notes et de brouillons de sa main,
pour des poèmes manifestement contemporains de ceux qu’il m’avait donnés. Mais une liasse un peu différente avait attiré mon attention, constituée de feuilles pliées ou coupées en deux, que j’avais rapidement parcourues pour constater qu’il s’agissait d’un projet de roman : celui-là même, avais-je
pensé aussitôt, qui avait été détruit. J’avais remis à plus tard, quand j’aurais le temps pour cela, de déchiffrer ces notes à l’écriture peu lisible, espérant qu’elles me permettraient de me faire une idée plus précise de ce roman dont mon père ne m’avait pas dit davantage.
Ce que je découvrais donc, en cet automne 2020, sur une étagère de cette armoire basque près de laquelle j’étais passé mille fois, que j’avais parfois ouverte pour y prendre quelque vêtement dont il avait besoin, c’est que mon père, non seulement n’avait pas détruit son roman, mais l’avait toujours gardé auprès de lui, dans son bureau, sans jamais me le montrer, tout en sachant qu’un jour je le découvrirais. Sans doute avait-il été porteur de trop d’espoirs pour qu’il pût se résoudre à le détruire, et était-il trop lié à un échec pour qu’il ait envie de me le donner à lire. Quoiqu’il en soit, il était à présent devant moi, sa centaine de feuilles de papier pelure dactylographiées, certaines lettres empâtées par la superposition d’une autre, avec aussi quelques corrections à la main où je reconnaissais son écriture anguleuse, parfois même celle de ma mère, qui avait dû relire son texte. N’attendant que ma lecture pour se réveiller d’un long sommeil.
Rentré chez moi, je ne tardai pas à me plonger dans les 206 pages de La marche à l’étoile, incertain si j’avais entre les mains une oeuvre mort-née ou un chef-d’œuvre inconnu. Je ne sais ce que je craignais le plus, d’être déçu ou ébloui, tant la situation était inédite pour moi, dont le métier est d’étudier les oeuvres consacrées, et qui me trouvais brusquement confronté à un roman qui, tout en étant achevé, n’avait jamais connu la publication. J’en étais donc à présent le seul juge, si tant est que le mot convienne, car il ne s’agissait pas tant pour moi de porter un jugement littéraire que de me mettre à l’écoute d’une voix d’outre-tombe, la voix miraculeusement surgie du passé d’un homme de quarante ans qui était mon père. Déçu, j’aurais été triste pour lui comme si son roman était à nouveau refusé, et par celui sans doute dont l’avis eût le plus compté pour lui. Ébloui, j’aurais été révolté d’une injustice dont on sait pourtant qu’il existe bien des exemples, et qui ne pouvait plus être réparée. Je ne fus ni l’un ni l’autre, et il m’est difficile de définir avec précisionles sentiments que j’éprouvai au long de cette lecture si particulière. Sans doute même est-ce l’une des raisons d’être de ce livre.
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