Parution Octobre 2009


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Jean-Yves Laurichesse
Les pas de l’ombre


Récit
2009. 112 p. 14/19.
ISBN 978.2.86853.525.2

16,00 €

Le livre

L’ombre d'un étudiant des années trente — le survivant de Pace Monge — erre dans les rues du quartier latin. Il a été orphelin dans un internat gris de province. Il sera prisonnier dans une froide région d'Allemagne. Dans ses pas, son fils imagine ce que fut sa jeunesse à partir de photographies, de poèmes, d'anecdotes. Il le rejoint au bout du chemin, où le présent se confond avec le mythe.


L’auteur

Jean-Yves Laurichesse est né en 1956 à Guéret. Professeur de littérature française contemporaine à l’Université de Toulouse-Le Mirail, il a publié des essais critiques et dirigé des ouvrages collectifs sur Jean Giono, Claude Simon, Richard Millet, l’imaginaire et l’intertextualité. Dernières publications : Richard Millet. L'invention du pays (Rodopi,2007) Intertextualités. Quand les textes voyagent (J.-Y. L., dir., Presses Universitaires de Perpignan, 2007)
Il a donné à nos éditions son premier roman en 2008 Place Monge, auquel fait suite Les pas de l'ombre.


Extrait

On le voit sur les photos, dans ses vingt ans, front haut, menton volontaire, lèvres sensuelles, regard intelligent derrière les petites lunettes rondes. Il arpenta le quartier des écoles au long des années trente. Il venait de la province, presque de la campagne, et d’abord s’habitua mal à Paris, son fleuve de pierre, ses arbres trop rares, ses petits messieurs poussés dans les grands lycées du vème arrondissement. Il y était né pourtant, non loin de là, mais n’aimait pas s’en souvenir. Et même les quelques séjours qu’il avait fait enfant dans la capitale avec ses grands-parents n’avaient pu le raccorder à ces premiers mois de vie que la guerre avait tranchés. Il avait été remarqué au lycée par un jeune professeur de philosophie qui emmenait le jeudi quelques internes hors de la ville, pour de longues promenades si animées qu’ils en oubliaient l’heure et rentraient souvent trop tard pour le dîner. C’était lui qui l’avait poussé vers l’aventure parisienne. Il eut au début la nostalgie des collines aux épaisses châtaigneraies parmi lesquelles il avait grandi. Sur les pentes de cette fausse montagne depuis si longtemps déboisée et murée, les eaux vives qui couraient le matin au long des trottoirs lui rappelaient parfois d’autres ruisseaux. Il habita d’abord chez son parrain, un oncle du Cantal qui exerçait le métier de représentant, au cinquième étage d’un bel immeuble du XIIe arrondissement donnant sur un square orné d’un kiosque à musique. Le souvenir de ses parents disparus resserrait autour de lui la sollicitude familiale. La cuisine de la marraine ressemblait à celle qu’il avait si souvent goûtée dans le petit hôtel-restaurant de campagne où il avait passé des vacances heureuses avec ses cousins. Ce cocon de bourgeoisie demeurée provinciale lui fut au début un réconfort. Mais il ne tarda pas à étouffer dans ce milieu aux vues étroites, entre ces deux êtres sans enfant qui l’aimaient et ne le comprenaient pas, alors qu’autour de lui se déployait un monde nouveau.

Pour un jeune homme fraîchement débarqué dans la capitale, ayant grandi dans des vallées étroites, celle du village d’enfance, puis celle de la préfecture grise, l’horizon s’était brusquement élargi. Il eut pour maîtres Alain, Nabert, Lavelle, dont on voyait les livres à la vitrine des libraires, ce qui leur conférait, en même temps que le prestige de la pensée, une forme d’irréalité.
Il s’accrochait à l’étude, soucieux de ne pas décevoir ceux qui, là-bas, pensaient à lui avec la fierté inquiète des familles demeurées au port. Parfois la force lui manquait, mais l’image d’une vieille femme agenouillée sur un prie-dieu lui redonnait courage, et il se replongeait dans les livres, les dictionnaires, les notes de cours étalés sous la lampe. La tête dans les mains, il progressait dans le roncier des savoirs avec la ténacité qui lui venait de ses ancêtres, issus de vieilles terres qu’il avait fallu de siècle en siècle arracher aux griffes d’une nature sans aménité. Par la fenêtre ouverte sur la nuit de juin, la rumeur de la ville lui parvenait, pleine d’un mystère confus, et son cœur se gonflait comme une voilure qu’il lui fallait réduire durement pour qu’elle ne l’emporte pas trop loin des pages grises, car le cœur toujours en lui le disputait à l’esprit. Très tard enfn il se couchait et abandonnait son corps aux rêves.

Les passants se font plus rares dans les rues étroites. Il s’oriente sans trop savoir, remontant d’instinct vers les sources. Il s’attarde un moment devant la vitrine d’un magasin de livres anciens dont on distingue mal l’intérieur déjà obscur, où dort l’infni des pages. Il reconnaît, défraîchies par le temps et l’usage, les couvertures blanches à fin liseré rouge de la Nouvelle Revue Française, les brochures à prix modique du «Livre moderne illustré» ou du «Livre de demain», ornées de bois gravés aux clairs-obscurs anguleux. Un exemplaire de La Condition humaine est exposé sur un présentoir, surmonté d’un bristol : Édition originale. 300 €. Il se souvient de ses quêtes d’adolescent dans la bibliothèque familiale, de ces livres portant en diagonale sur la page de garde le même nom inscrit à l’encre noire, le lieu et la date soulignés d’une torsade, comme la trace même de la jeunesse de son père. Il imagine la petite bibliothèque d’étudiant composée mois après mois, l’étagère se remplissant, débordant sur une autre, puis une autre encore, mur de papier construit de haut en bas, édifiant peu à peu autour de lui une demeure habitable.

Autres titres du même auteur :

Place Monge (2008)
L’hiver en Arcadie (2011)
Les brisées (2013)
La loge de mer (2015)
Un passant incertain (2017)
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Jean-Yves Laurichesse