Parution Janvier 2024


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Gérard Macé
Bibliothèque tournante


Entretiens, édités par
Laurent Demanze


2024. 272 p. 14/19.
ISBN 978.2.86853.
711.9
25,00 €

Le livre

«Bibliothèque tournante : ce titre m’est venu à l’esprit en pensant au meuble qui s’appelle ainsi, mais plus encore à l’analogie avec la porte à tambour. Du même coup, j’avais devant les yeux l’image d’une bibliothèque ouverte sur le monde, où l’on entre et d’où l’on sort librement. Qui tourne sur elle-même, pour s’ouvrir sur un autre réel, d’autres curiosités, et des vies qu’on soupçonnait à peine.» — G. M.

«Rassembler en un volume des entretiens, c’est transformer des mots de circonstance en livre pour dessiner rétrospectivement un parcours : les entretiens cessent alors d’escorter la parution d’un livre pour esquisser une trajectoire, donner à lire des inflexions et des continuités, apprécier une oeuvre en mouvement, avec ses accords et ses basses continues. Et par leur juxtaposition, les entretiens deviennent un livre supplémentaire qui s’ajoute aux précédents, mais sans les surplomber : s’invente là un autre régime de la parole littéraire, entre la spontanéité de la conversation et la recherche de l’écrit, entre la réponse vive aux injonctions du présent et le temps de la réflexion. Les livres de Gérard Macé sont déjà tout entiers dans cette alliance entre la souplesse de l’oralité et l’érudition livresque, les souvenirs des patois de l’enfance et la conquête de la bibliothèque.» — Laurent Demanze



L’auteur

Gérard Macé est né à Paris en 1946. Depuis son premier livre, Le Jardin des langues, paru en 1974, il a édifié chez Gallimard, au Promeneur, au Bruit du temps et aux éditions Le temps qu’il fait, une œuvre considérable par sa singularité et sa cohérence. Des livres brefs, souvent à la frontière de la poésie et de l’essai où, mêlant l’érudition à la rêverie, il approfondit sans cesse les mêmes thèmes fondamentaux : l’acquisition ou la remémoration de l’écriture ou d’une langue à jamais perdue (Leçon de chinois, Le Dernier des Égyptiens), la recherche du secret que recèlent les traces d’une mémoire engloutie dont les contes ou les rêves sont souvent les meilleurs dépositaires (Bois dormant, Les Trois Coffrets). Ces dernières années, Gérard Macé est revenu à la forme du poème (Promesse, tour et prestige, 2009) en même temps qu’il nous donnait, sous le titre général de Pensées simples, des recueils de réflexions, notes de lecture, souvenirs et anecdotes.


Extrait



«Une démarche d’autodidacte»


— Vous êtes né à Paris en 1946, avez grandi en Île-de-France. Ces informations sont données dans vos livres. Elles donnent aussi l’impression d’être quelque peu masquées. On est donc tenté de vous interroger sur vos origines, vous qui êtes né dans un milieu où les livres étaient absents…

— Je comprends bien que le problème se pose. Pour débroussailler le terrain, on peut commencer par des éléments d’ordre factuel, qui n’ont aucun mystère. Ma famille maternelle est originaire de l’Île-de-France, au nord de Paris, en allant vers l’Isle-Adam. Mon grand-père était bûcheron et ma grand-mère ouvrière agricole. Elle ne savait ni lire ni écrire. Ils ne possédaient rien. J’avais un arrière-grand-père maternel, Jules Galle, qui était journalier. Il venait du Hainaut de façon saisonnière, pour arracher des pommes de terre ou des betteraves. Puis un jour il est resté. On l’a toujours présenté comme une sorte de demi-vagabond alcoolique (je l’ai connu dans cet état?!). Il était coléreux, un peu irresponsable, mais paraît-il, excellent ouvrier. Dans les fermes on le reprenait toujours, après qu’il eut cuvé à la belle étoile. Côté paternel, mon grand-père est breton mais du pays non bretonnant, entre Redon et Rennes, qu’on appelle le pays gallo. Ma grand-mère bretonne habitait dans une seule pièce, avec de la terre battue au sol. Des deux côtés, c’est socialement assez semblable. Les années passant, ce monde est devenu archaïque : on y vivait avec l’électricité mais sans eau. Pas de radio ni de télévision. Un jardin de subsistance. Un milieu dans lequel on ne dépense pas d’argent.


— Et il n’y avait pas de livres…

Dans la mesure où, ni d’un côté ni de l’autre, personne n’avait fait d’études. Sans livres oui, mais avec un immense respect pour ce qu’on appelle aujourd’hui la culture, un mot qui alors n’existait pas. On avait du respect pour le savoir – et donc pour le livre. Dont l’absence même était quelque chose de magique, je n’ose pas dire sacré, en tout cas quelque chose d’extrêmement respecté. Je suis à peu près persuadé que ça a joué pour moi le rôle d’un extraordinaire appel. Cette chose manquante, c’était comme un royaume terrestre à conquérir, avec, c’est plus banal, l’ascension sociale telle qu’on l’a connue sous les IIIe et IVe République. Cela m’a donné une très grande liberté.


— Pour un écrivain qui comme vous fait souvent référence à la littérature, quels furent alors vos premiers rapports aux livres ?

Enfant, mes parents ont voulu m’abonner à un journal, ce devait être Mickey, mais je leur ai dit «donnez-moi l’argent et dans quelques semaines je pourrai m’acheter un vrai livre». Ce vrai livre, je m’en souviens, ce fut La Case de l’Oncle Tom en bibliothèque verte. J’étais fier d’avoir acheté un livre sans images, un livre «de bibliothèque». Je ne l’ai jamais lu. Toujours pas aujourd’hui. J’étais déjà bibliophile (rires). Le fait même de posséder un livre comblait le désir. J’ai poursuivi et lu les livres de classe. J’ai lu tout et n’importe quoi. J’ai lu ainsi des romans-photos en été, des vies de saints en Bretagne parce qu’il y avait un couvent à proximité. Ou encore les comptes rendus du Tour de France. C’était une lecture désordonnée mais peut-être pas tant que ça. À la bibliothèque de Courbevoie où vivaient mes parents, j’ai le souvenir précis d’avoir emprunté mystérieusement (on se dit qu’il y a quelque chose qui est déjà déterminé…) des livres que je pouvais à peine lire: Confucius dans la collection des Maîtres spirituels. J’ai retrouvé la Chine plus tard avec Segalen. Il y avait une voie qui se dessinait. Et puis j’ai emprunté un livre de Blanchot, qui s’appelait L’Espace littéraire. J’ai essayé de le lire. Je crois l’avoir lu, en sachant très bien que je ne comprenais pas tout, mais le titre m’attirait. L’espace littéraire était celui dans lequel je voulais vivre. J’avais quatorze, quinze ans. Ensuite je me souviens de l’emprunt (ou du vol ?) des Lusiades de Camões. Un nom étrange…

Le Lorgnon mélancolique
Patrick Corneau
20 janvier 2024