Parution Novembre 2018


    Accueil

    Parutions

    Auteurs

    Œuvres

    Bibliophilie

    Commande

    Recherche

    La maison

    Autres fonds

    Liens

    Chronique

    Lettre d’info


    Livres de photographie

Jean-Marie Kerwich
L’ange qui boite


Présentation de Lydie Dattas

Coll. Corps neuf, 18
2018. 176 p. 12/18.
ISBN 978.2.86853.654.9

Le livre

«La douleur était mon professeur de lettres. J’étais le premier des derniers, au fond de la classe. Je me revois les bras croisés sur mon pupitre. Sur mon cahier j’écrivais des pensées qui ressemblaient à des chemins de blé. Chaque phrase était pareille à une feuille morte ou un caillou qui devenait un poème — quand je ne savais même pas ce qu’était un poème.»

Jean-Marie Kerwich arrive dans le langage par un chemin vierge, que n’ont foulé avant lui ni les religieux, ni les lettrés, ni même étrangement les poètes. La joie si pure que donne son écriture angélique vient de ce qu’elle ne lui fut pas enseignée par les hommes mais par le ciel. Son verbe en porte l’infalsifiable cachet azuré. Cette joie est aussi celle qu’éprouve le voyageur perdu devant une oasis. Comment ne pas entendre, dans la désertification spirituelle grandissante du monde, sa voix comme le murmure inespéré d’une source ? Une fois de plus c’est le sauvage qui nous instruit, le blessé qui nous soigne, le déshérité qui nous comble.

Lydie Dattas



L’auteur


Jean-Marie Kerwich (1952-2018) naît à Paris dans une famille de gitans piémontais. En 1963, celle-ci part au Canada où elle fonde un petit cirque ambulant. C’est à cette école que Jean-Marie Kerwich sera formé, ainsi qu’à celle de la solitude. Yehudi Menuhin fit l’éloge de ses premiers poèmes (Les jours simples) et Jean Grosjean compare son recueil L’ange qui boite aux prières de François d’Assise. Après ces deux premiers livres (Le temps qu’il fait, 1997 et 2005), il publiera L’Évangile du gitan (Mercure de France, 2008) et Le livre errant (id., 2017).


Extraits


La poésie choisit son teneur de plume. Elle ne laisse personne tricher, mais donne toute son âme aux vrais penseurs.



Une goutte de pluie a écrit un poème sur le carreau de ma fenêtre. Ce poème était triste et étrange, tout comme ces anges oubliés qui souffrent au coin des rues.



J’avais huit ans, et à l’école je ne savais pas apprendre. Mais pourtant sur le chemin du retour, je savais lire dans les espaces du ciel.



La pensée n’arrête pas — non de chercher ou de comprendre, mais de se balancer sur une corde comme un enfant dans un verger.



J’ai posé ma joue contre la joue de ma pensée, et tout m’a semblé moins désespérant. Nous regardions le ciel gris. Nos yeux touchaient de leurs larmes cette parcelle d’univers qui nous regardait avec ce regard magnifique qu’on ne voit jamais. Ma pensée est une douce inconnue, une grande amie de ma tristesse.



Le ciel aura du mal à peupler son paradis, tant les grandes âmes sont rares.



De fatigue je me suis assis sur une roche. Mes mains soutenaient ma tête désolée, car aucun de mes semblables n’avait d’indulgence pour moi. J’entendis une voix douce me dire : «Tu n’es plus seul mon frère». Cette voix était celle d’un petit cours d’eau.



Je vois le règne du mal. Et le ciel qui possède le magnifique pouvoir de ne rien faire contre lui.



De ma fenêtre j’ai vu deux flocons de neige qui semblaient s’aimer d’amour tendre, car dans leur chute ils se sont cachés timidement sur la branche d’un arbre, blottis l’un contre l’autre.



Les jours sont devenus si courts. L’automne a des pensées si belles qu’on ne voudrait plus le quitter. C’est comme une fête de tristesse où nos peines seraient conviées.



Ce n’est pas donner l’argent à un clochard qui est le plus difficile, mais de lui offrir une -pensée. Il est facile de construire une église avec des -pierres, mais plus difficile de la construire avec son âme.



J’écoute parler les poètes et ils me font de la peine, car ils n’ont point été choisis. Ils commettent l’erreur de se choisir eux-mêmes.



En cette matinée hivernale, je marchais sur un petit sentier de campagne quand me vint l’envie de chercher un trèfle à quatre feuilles. Ainsi j’in-clinais mon corps vers l’herbe gelée de décembre. Je fus ébloui de voir de petites gouttes de givre sur l’herbe fine ainsi qu’une petite châtaigne cachée sous l’âme chaude d’une feuille morte. Toute une colonne de petits trèfles semblait se tenir par la main, comme s’ils voulaient protéger le trèfle à quatre feuilles. Mais soudain le tonnerre se fit entendre et la pluie vint au secours des trèfles que je piétinais. Elle fut si forte qu’elle me chassa de ce lieu, et ainsi le trèfle à quatre feuilles fut sauvé de l’impitoyable chance que je cherchais.
L’Arabe portait un vieux costume. Il n’avait pas de chemise mais un col roulé avec un vieux foulard de laine. Sa barbe formait comme une haie d’honneur en l’honneur de ses rides. C’était une vraie barbe d’homme, non celle des intellectuels ou des acteurs. Comme il était beau en descendant du train. Il survivra à cet Occident misérable. Il survivra car il fera survivre Dieu.



Je sais qu’en ma tombe je rêverai enfin de Dieu en toute paix. Et même si les hommes ne veulent pas fleurir ma tombe, je sais que la mousse verte ne m’abandonnera pas.

Le Soir
11-12 janvier 2020