Parution Février 2018


    Accueil

    Parutions

    Auteurs

    Œuvres

    Bibliophilie

    Commande

    Recherche

    La maison

    Autres fonds

    Liens

    Chronique

    Lettre d’info


    Livres de photographie

Patrick Mialon
Désir d’Aubrac


Récit
Coll. Corps neuf, 15
2018. 72 p. 12/18.
ISBN 978.2.86853.627.3

9,00 €

Le livre

«On a, je crois, les déserts que l’on mérite. On a aussi, parfois, ceux que l’on porte en soi et ceux que l’on fantasme et qui ont le pouvoir de nous réduire, de nous diminuer jusqu’au dérisoire, jusqu’à l’imperceptible, à l’anéantissement ou, au contraire, celui de nous agrandir, nous élever, nous sublimer, aux dimensions d’un infiniment grand intérieur, de plénitude et d’accomplissement.
(…)
On pourrait dire que l’Aubrac est né de la lumière. D’un désir de lumière. Partout elle le baigne, l’enveloppe, le lave. L’entoure de toute son affection, de toute sa sollicitude. De cet amour tombé du ciel qui irradie la terre. Désir à fleur de peau qui flatte et qui caresse d’innombrables façons.»

Cet essai buissonnier est un hymne d’amour à un territoire presque ignoré, pays réduit à l’essentiel — à l’espace, à la pierre, à l’attente. Il est une célébration de l’immensité à l’échelle réduite de l’être humain. Il est une poétique du dépouillement, une invitation au voyage intérieur : «Vers l’ailleurs par l’Aubrac !»



L’auteur


Patrick Mialon est né en 1949 en Lozère. Il a passé son enfance sur les hauts plateaux de la Margeride et de l’Aubrac ce pays qui dépasse les bornes. Il n’a d’ailleurs jamais voulu reconnaître les frontières entre la narration et la réflexion, l’essai et la poésie. Après des études de Lettres et de Philosophie et esthétique, il a enseigné en facultés et dans des Écoles d’Art. Il a été, entre autres, Vice-président du Centre International du Livre d’artistes de Saint Yrieix la Perche avec Henri Cueco.



Extrait

Ainsi donc, l’attraction irrésistible qu’éprouvait Gracq — l’autre écrivain des marges, des territoires austères, des franges dénudées —, à l’égard de ce «morceau de continent chauve et brusquement exondé» trouverait son origine, son aimantation, dans le caractère «intégralement exotique» de son ancrage résolument atypique (même si, depuis lors, il faut bien le reconnaître, les campagnes bocagères ont bel et bien cessé de faire figure de lieux communs de notre terroir…)
C’est on ne peut plus vrai. Mais, je crois — ce qui ne serait pas pour déplaire à l’auteur du Rivage des Syrtes — qu’on peut encore aller plus loin. Car s’il est un lieu en rien commun et, pour dire le tout, authentiquement atopique, c’est bien celui-là !
À la croisée de trois départements — la Lozère, l’Aveyron et le Cantal — il y a peu se trouvait sur le plateau, avant qu’on ne la dérobe, une très emblématique croix dite «des trois Évêques». L’Aubrac, un et indénombrable, commence donc par outrepasser les limites administratives qu’on voudrait lui assigner. D’emblée il dépasse les bornes, ignore les frontières. D’emblée il s’inscrit dans la démesure et dans l’incommensurable. Il est le désarroi de tous les arpenteurs. C’est alors peu de dire qu’il ne tient pas en place. Sur l’horizon comme sur les nuées, sur la terre comme au ciel, de partout il déborde, partout il prend le large. Ainsi des mains tenaces ont eu beau rapporter toutes les pierres de tous les champs pour les placer sur les rebords des chemins de traverse, des voies de transhumance afin de les marquer, les borner, les contraindre (les paysans là-bas ont longtemps joué aux petits-poucets avisés débarrassant la terre de sa minéralité encombrante pour y trouver leur pain…), rien n’y fait ! À un moment ou à un autre, immanquablement, le chemin se déroute, bascule dans l’ailleurs. Vu d’en haut, d’un promontoire, la scène est des plus saisissantes : on a l’impression d’assister à un gigantesque événement cosmogonique — de ceux qu’on ne peut plus trouver que dans les textes fondateurs, les récits initiatiques —, à la mue fabuleuse du long serpent des drailles, secouant ses anneaux granitiques, abandonnant sa queue avalée par l’espace dans une bacchanale insensée, une ronde envoûtante, démesurée et hypnotique.
Cette impression de limites effacées, de transgression des règles, est bien sûr à son comble quand, par ces jours d’encre et de brume — lorsque le ciel grisé fond soudain sur la terre, épouse ses contours, la couvre de son souffle embué et avide, presque aviné, d’amoureux fou qui s’enhardit —, on se croirait alors plongé dans quelque toile hallucinée de Turner, quelque huile de Whistler où se mêlent la vapeur, la nuée et l’orage et où, dans ce décalque renversant, le jour se fait nuit, la terre devient ciel, le familier étrange. La schize exquise pour celui qui s’y risque, qui ne craint pas la perte, ne redoute pas l’égarement.
Me vient alors à l’esprit, la belle phrase d’Antonin Artaud (qui fut non loin de là interné, à son corps défendant, à l’asile de Rodez) : «Je suis celui qui connaît les recoins de la perte». Ce pays aussi. Depuis toujours — c’est même une seconde nature — il a été habitué à faire face à cet effacement des repères qui est souvent vécu comme une menace pour l’identité de celui qui n’arrive plus à apparier les fils d’un aussi indémêlable écheveau. Dans l’ancien hôpital des Templiers d’Aubrac, se trouve toujours une cloche portant l’inscription «Errantes Revoco» (j’appelle les égarés) qui, par les grandes bourrasques hivernales — quand toute la blancheur du ciel vole en éclats tourbillonnants jusqu’à même le sol et qu’on ne voit plus rien —, avait pour mission de donner de la voix afin de suppléer la vue des pèlerins désemparés, quand les brigands des grands chemins les avaient épargnés. Les voies du Seigneur n’étant plus, pour un instant au moins, impénétrables…
La grande, l’incontournable question d’ailleurs, à cette époque, étant bien de trouver sa voie. De se frayer un passage. Vers Saint-Jacques de Compostelle, vers le Seigneur et, plus loin encore, plus loin peut-être, vers l’Au-delà. Un Au-delà de lumière et de félicité où les péchés seraient remis, les attentes comblées, dans cette oasis de plénitude et de verdure, ce paradis qui, étymologiquement, a toujours été le rêve du bédouin, de l’errant, du nomade…
En cela, la religion était un précieux mot-de-passe qui vous permettait de vous aboucher à cet autre versant, cette face cachée, improbable, des choses. Elle était la carte qui vous indiquait dans un code secret, légendé et légendaire, le plan d’accès à cette hors-scène où tout se jouait, où tout se dénouait.