Parution Septembre 2009


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Jean-Claude Tardif
La Nada


Nouvelles pour l'Espagnol
2009. 96 p. 14/19.
ISBN 978.2.86853.523.8

15,00 €

Le livre

«De quoi souffrent-ils ? De quoi ont-ils encore peur, ces morts qui sont un peu les miens ? Ils me le disent parfois quand souffle le vent, mais les haies de lauriers étouffent leurs voix comme la terre étouffait celle de la Catalogne. Cette voix chaude et soudain trop rouge. Rouge de ce silence sur les chemises blanches de la jeunesse. Ils sont là ! Eux mes frères, garçons bouchers, charpentiers ou maquereaux, tous ceux qui pensaient leurs peaux trop claires pour porter le feu et le plomb par les chemins. L’un après l’autre ils se sont couchés au hasard de la route, de la barricade ou du pavé, les yeux étonnés.»
Ainsi parle Antonio, le grand-père républicain exilé sur les côtes de Bretagne et, à travers lui, l’instituteur exécuté au petit jour sur la place du village, Pilar dans le printemps gitan, Doña Lobos la bienveillante déracinée, Gerda Taro la pequeña rubia, compagne du photographe Robert Capa, morte à 27 ans à Brunete en 1937... Ainsi l’auteur donne-t-il une voix à la multitude des hommes et femmes qui furent sacrifiés en Espagne par la guerre civile dont la mémoire ne parvient toujours pas à démêler la grandeur de l’horreur.


L’auteur

Né en 1963 à Rennes dans une famille ouvrière, installé aujourd’hui en Normandie, Jean-Claude Tardif a publié quelques livres de poèmes dont De la vie lente (La Dragonne, 1999), Nuitamment (Cadex, 2001) et des récits : L’homme de peu (La Dragonne, 2002), Louve peut-être (La Dragonne, 2005)…


Extrait

J’ai entendu le bruit sec de l’obturateur juste avant qu’il ne s’écroule. Cela m’a étonnée. Je me rappelle m’en être fait la réflexion : une fraction de seconde, un instant. On ne prend pas même le temps de cadrer avant de tirer un portrait, de saisir un paysage et, au développement, on le découvre différent, comme légèrement gommé... Fragment d’éternité qu’on aurait fait vœu de garder pour soi sans savoir s’il vous ravit ou vous effraie. Oui, je me le rappelle, juste avant qu’il ne s’écroule, le petit bruit sec, métallique du déclencheur. Puis plus rien, un mur, un impact, une trace sur ce mur que je ne voulais pas nommer.

Après le bruit sec, plus rien. Comme s’il avait modifié l’espace, l’avait vidé de sa substance, de toute chair. Pourtant je n’avais pas fait un pas, pas bougé. Posée sur mes jambes je m’étais efforcée au calme, à son apparence tout au moins pour pouvoir déclencher au moment précis... Lequel, je ne le savais pas, mais j’étais certaine que ma main, mon index plus exactement le saurait, agirait pour moi avec instinct, pour mon corps entier. Il y avait quelque chose d’animal là-dedans. Je n’avais pas bougé, à l’affût. La fatigue de la nuit aussi et celle des jours précédents : mon corps me faisait mal, le froid. Le moment était venu, entre aguets et fatigue. Mon index avait pleinement empli son office à l’instant précis où il était apparu à l’angle de ce mur par moitié effondré, criant des ordres sans même s’apercevoir qu’il était seul à en tourner le coin. Petit bruit sec du déclencheur puis la lumière blanche du soleil dans mon viseur. Autant dire rien à cette époque de l’année. Cet homme, je ne le connaissais pas. Comment l’aurais-je pu d’ailleurs, ils étaient si nombreux et si peu à la fois dans les rues de cette bourgade qui s’effaçait jour après jour. Maintenant sur le sol il n’était qu’une immobilité de plus. Ai-je pris le temps de le regarder, je ne m’en souviens pas, d’autres bruits secs, ceux de percuteurs et ces sifflements à mes oreilles. «¡ Holà pequeña venga aqui !» La pequeña rubia c’est ainsi qu’ils m’appelaient tous; moi je ne savais pas même leurs prénoms. Pour beaucoup, jamais je ne les connaîtrais. Depuis combien de jours vivais-je, dormais-je à leurs côtés sans que nous ayons pu échanger autre chose que notre peur, les angoisses qui couvaient au fond de nos yeux, que nous essayions pourtant de dissimuler à la clarté du regard de l’autre avant le bruit sec, le prochain. Hier au soir l’un d’entre eux m’a dit avec un sourire, alors qu’il s’était accroupi près de moi dans l’ombre d’un agrégat de moellons pour éviter une rafale : «mais toi tu triches, avec ton appareil devant l’œil, on ne voit pas ta peur, tu te dérobes, mais on ne triche pas avec la mort... C’est pour cela qu’on t’aime Pequeña». Ce matin je l’ai revu sur les marches de l’église un éclat lui avait mangé la face. Il n’avait pas su tricher.

Du même auteur,
à nos éditions
:

Post-scriptum au chien noir (2012)