Parution 2007


    Accueil

    Parutions

    Auteurs

    Œuvres

    Bibliophilie

    Commande

    Recherche

    La maison

    Autres fonds

    Liens

    Chronique

    Lettre d’info


    Livres de photographie

Patrick Cloux
Mon libraire, sa vie, son oeuvre

Chronique

2007. 176 p. 14/19.
ISBN 978.2.86853.491.0

Épuisé

Le livre

Mon libraire est contagieux. Ne l’approchez pas, il pourrait vous donner l’envie de lire.

Ce lexique (80 entrées) est écrit sur un ton tour à tour précis, attendri, grave, primesautier. Bien que délibérément subjectif, il est assez documenté, nourri d’expériences vécues et de franches rencontres pour permettre aux lecteurs d’attachement de mieux saisir les quelques beaux enjeux d’un métier assez peu célébré.
Depuis hier, aujourd’hui, mais également pour demain, le livre — qui est, plus que jamais, en question — a tout à gagner à être mis entre de bonnes mains par des gens de généreuse compagnie pour qui la lecture est, plus encore que la profession, une véritable façon d’être.



L’auteur

Patrick Cloux a été libraire pendant vingt ans, dans des librairies de taille bien différentes. Il est actuellement représentant pour les Éditions Actes-Sud dans la région Rhône-Alpes, après s’être occupé des librairies de «second niveau» de Paris et de Province. Il est l’auteur d’une dizaine de livres principalement parus à nos éditions, mais aussi chez Stock, à la Table Ronde et aux éditions du Miroir.



Extrait

Banlieue

«Quand j’étais gamin et que, déçu, je râlais, on me disait “Va te faire voir chez Plumeau !”. D’accord, mais Plumeau a fermé. Et je suis devenu à mi-temps un travailleur social.»
Il s’occupe de non-insertion culturelle. Métier prenant, qui n’a pas de local ni d’atelier, hormis les ateliers d’écriture, dans ce qui reste d’ici une fois Plumeau parti. Champ d’action court : un centre commercial bien basique, bien moche, en bas de son pseudo-quartier d’immeubles, d’échangeurs et d’usines démembrées. Un décor codé comme celui d’un polar, exactement, mais plus raide, plus réel. Il ne se passe jamais rien, les gens rentrent pour dormir. À part les poubelles, aucun bruit. C’est mortel. Et crade quand même, surtout lorsque le vent s’en mêle.
«Un recueil de pensées j’en suis sûr, ça leur plairait aux gamins. Un truc pas trop dur mais costaud.»
Il envoie un tas de mails à ses potes. La caissière d’Ed est sympa, toujours à la bourre. À part elle, personne ici n’ouvre un magazine. C’est bien sa veine.
«M’sieur vous écouter parler de librairies, précises et “achalandées”, ça le fait pas. On se sent loin. Jamais vu. On n’est même pas en zone prioritaire. Un vrai désert. Pas de commerce cool comme vous dites. Quand on ne fait pas de sport, faut s’occuper. À part les tout couverts à la médiathèque, on ne voit jamais de livres. Faut les rendre. Et moi, si je les garde pas, j’m’en souviens plus.»

*

Il y a un énorme travail à faire, on le sait. Inconfortable et militant, associatif, alternatif, politique. Faute de quoi les garages deviendront librairies — pas forcément communautaires, au reste —, la poignée de librairies de confession musulmane du quartier de Belleville ou de la rue Jean- Pierre-Timbault dans le 11e faisant office de grossistes. On est loin du rêve d’une grande Méditerranée partagée par les merveilleuses présences réunies autour de l’Institut du Monde Arabe, les librairies de l’Orient, Averoès, ou Samuelian. Ou de la culture ouverte proposée par les éditions Sindbad.


Béatitude


Montaigne s’y connaissait en librairie, qu’il écrit aussi bien Librerie dans ses Essais. Il en avait gravé les poutres, dans sa tour, de sentences antiques encore lisibles. Sur les imprécations des hautes sphères, services ministériels et commissions spécialisées en décisions pyramidales et autres rentes viagères, il aurait sans nul doute pris position, sans contester leur bonne foi. «Nous pouvons ainsi dire que les éléphants ont quelque participation de religion, d’autant qu’après plusieurs ablutions et purification on les void, haussant leur trompe comme des bras et tenant les yeux fichez vers le Soleil levant, se planter long temps en méditation et contemplation à certaines heures du jour, de leur propre inclination, sans instruction et sans precepte.»
Tant de dévotion dérange qu’on ne soupçonnait pas. Aussi chaque libraire se sent un instant partagé sous ces instances. Il lui faut donc sans insolence affirmer sa publicité, précipiter des béatitudes, s’associer à des reflets, à des images porteuses de bonheur et d’intelligence. De jeunes libraires l’ont bien saisi, comme ceux de la récente librairie parisienne Le Comptoir des mots, qui fait en très peu de temps un parcours exemplaire dans 140 mètres carrés idéalement placés. C’est un modèle de réactivité sensible et de promesses tenues. Une petite cohorte dispersée de ces quadras m’inspire. Leur motricité vitalise. Ils ne font porter sur personne la conscience malheureuse des jours creux. Ni l’informatique, ni la gestion, ni les livres ne les affolent. Ils apportent un renouveau d’image au métier (ce «métier qui embarque tout»). Ainsi chez Atout livre, Ithaque, Le Genre Urbain, Les Mots bleus à Paris, la Librairie Nouvelle à Voiron. Fantassins en soutien continu et visible à la diversité culturelle, ils pérennisent, sans être jamais doctrinaires, un militantisme de simple et bon aloi. Ce faisant, ils vont rejoindre des personnalités tenant au dialogue comme Bousquet chez Nordest, Pierre Akian à Virgule, Muriel Bonicel chez Tschann, Laurence Marès au Cyprès à Nevers, Baruffaldi à la Dérive près du marché Sainte-Claire à Grenoble, Pascal Thuot à Millepages à Vincennes, Lecomte au Livre Écarlate, Éric Fitoussi et Françoise Charriau chez Passages à Lyon, ou Alain Girard à Nantes à Vent d’Ouest et Jean Rome à Clermont Ferrand... Beau mélange d’amitiés, de choses vues et racontées, de lectures noctambules, et surtout de véritables et fortes figures de vie, d’âges très différents, nourries d’humour et de rencontres.