Parution Juin 2024


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Jérôme Prieur
Les Sentinelles
de l’oubli


Images de
Renaud Personnaz
Préface de
Stéphane Audoin-Rouzeau

2024. 144 p. 14/19.
ISBN 978.2.86853.714.0

25,00 €

Le livre

De la Lorraine à l’Aquitaine, de la Normandie aux confins des Alpes, de la Somme à la Corse, rôde une armée de fantômes. Dans chacune des 36 000 communes de France, les actes de bravoure ou les chagrins enregistrés dans la pierre sont aujourd’hui les stigmates intimes et les vestiges publics de cette guerre effroyable.
Le monument fait entrer la guerre dans la paix : dans chaque village s’est installée une religion civique, le culte de la Nation allant de pair avec la mise en scène du roman national, reliant les Gaulois, les soldats de 1792 aux poilus de 14-18. Pour une fois il réunit le front et l’arrière, les soldats et leurs proches, toutes sortes de modèles permettant d’expérimenter ici le souci du réalisme et là l’onirisme le plus fantastique.
Tous les soldats de l’armée morte, eux, ne sont même pas là, près des leurs. Leurs proches n’ont pas
pu venir pleurer sur leur tombe, fleurir leur souvenir. Parmi eux, plusieurs centaines de milliers — leur nombre total même est incertain — de soldats sont restés inconnus, méconnaissables, non identifiés, disparus, âmes errantes… Des morts qui n’en finissent pas de mourir pour ainsi dire, au terme d’une guerre qui a inventé non seulement la mort industrielle mais la destruction même des morts au fur et à mesure de la guerre de position, des attaques et des contre-attaques sur le même terrain…


L’auteur

Écrivain et cinéaste, Jérôme Prieur est l’auteur d’une vingtaine d’essais publiés par Gallimard, Denoël, les éditions du Seuil, etc. Après la série Corpus christi, réalisée avec Gérard Mordillat, et qui a eu un grand retentissement, son œuvre documentaire a été honorée par deux fois par le Prix du documentaire décerné par l’Association française des critiques de cinéma et de télévision pour son film d’archives adapté du journal d’Hélène Berr, Hélène Berr, une jeune fille dans Paris occupé (2014) et pour Vivre dans l’Allemagne en guerre (2022), inspiré de l’ouvrage de Nicholas Stargardt, La Guerre allemande.
Comme plusieurs de ses livres (Guerre éclair, La Pionnière, 1997; La Moustache du soldat inconnu, Seuil, 2018; Où est passé le passé, écrit en collaboration avec Laurent Olivier, La Bibliothèque, 2022), celui-ci, adapté de son film récent qui a notamment obtenu le Grand Prix du Festival de l’Histoire de l’art 2024, montre bien l’importance que tient la première guerre mondiale dans l’œuvre de Prieur.



Extrait de la préface

[…]
Ma surprise n’en a été que plus grande face à la véritable redécouverte à laquelle nous force un tel film, devenu désormais un livre. «Pendant longtemps, écrit son réalisateur, j’ai écrit et réécrit ce que je voulais raconter dans un film que j’ai attendu et espéré, envers et contre tout.» Éloge de l’attente, alors ! Car Jérôme Prieur, c’est vrai, a su «écrire les images et plus encore» : dans l’ouvrage que l’on va lire, on découvrira — ou redécouvrira — l’admirable texte qui constitue la «basse continue» des Sentinelles de l’oubli. Un texte parsemé de diamants noirs, sous la forme de quelques écrits, soigneusement choisis, de contemporains de la guerre.
Certes, on perdra les images animées de Renaud Personnaz, cette longue caresse de la pierre ou du bronze à laquelle s’adonne sa caméra ; une caresse d’une sensualité étonnante, compte tenu de la dureté des objets en cause, si tragiques, si glaçants, et si loin parfois de nos émotions d’aujourd’hui. Et pourtant, une douceur cachée réside dans la statuaire elle-même : «La pierre offre des caresses et des étreintes que le mort n’a jamais reçues», nous dit Jérôme Prieur.
La photographie des Sentinelles de l’oubli, que l’on va découvrir dans les pages qui suivent, m’aura fait voir autrement ces monuments aux morts que je croyais bien connaître : simplement, il eût fallu ne pas omettre de les regarder de plus près, de les scruter plus longtemps et plus complètement. À force de les regarder à nouveaux frais, Jérôme Prieur a su discerner certains de leurs secrets parmi les mieux gardés. Après avoir fait un sort à la production en série – celle où se déploie la vulgarité et l’héroïsme artificiel, afin de permettre que «la victoire [ait] lieu dans chaque commune» — Jérôme Prieur s’est déplacé vers les œuvres véritables, celles des sculpteurs sachant ce que guerre et combat voulaient dire. Eux «témoignent pour leurs camarades», représentent les morts, «traduisent» l’expérience du conflit et parviennent à «faire parler» les statues. Grâce à eux, le sacral s’introduit dans l’hommage.
[…]
Stéphane Audoin-Rouzeau