Parution Octobre 2022


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Jean-François Berthier
L’appartement de le rue Henri-Robert


Récits

2022. 96 p. 14/19.
ISBN 978.2.86853.687.7

16,00 €

Le livre

Depuis l’immeuble, au bout de l’île de la Cité, «la vue sur la Seine était somptueuse». Tout jeune étudiant, l’auteur avait eu l’audace de sonner à la porte de l’appartement de Madame Roland, figure de la Révolution française, femme exceptionnelle au destin tragique. Bien longtemps après, l’homme devenu mûr, se retrouvant au pied de cet immeuble, a l’idée d’écrire des «histoires où quelques personnages de sa vie, ou de son imagination, passeraient tout à tour dans cet appartement». Des années de la Terreur à aujourd’hui, ce sont six récits qui traversent le temps, et sont arrimés l’un à l’autre par leur lieu unique et par leur thème commun, celui de la mort évidemment, autrement dit celui de la fin (fin d’une légende, fin d’une illusion, fin du désir…) qui parachève toutes choses en une construction savante à la beauté consolante.


L’auteur

Jean-François Berthier est né en 1947 et vit à Paris. Il n’a commencé à écrire qu’après avoir achevé sa vie professionnelle.
Il a écrit quatre livres hors commerce et réalisé un site internet intitulé Dérives urbaines, qui tente de considérer la marche en ville comme un art contemporain.
L’appartement de la rue Henri-Robert est son premier recueil publié.



Extrait

Ce que j’apprécie par-dessus tout dans la ville, c’est qu’elle est capable de nous entraîner là où nous n’aurions jamais pensé aller, jusqu’à un lieu qui pourtant nous attendait.

C’était un des premiers jours du printemps, il régnait dans l’air une douceur inattendue, et qui semblait apporter plus de vie. J’avais dîné avec un ami dans le Quartier latin et je marchais vers ma ligne de métro. J’arrivais à proximité du Pont-Neuf, celui qui fait rire les touristes quand ils apprennent que c’est le plus vieux de Paris. J’aime particulièrement les masques sculptés qui ornent ses arches et dont on dit qu’ils sont destinés à éloigner les mauvais esprits; peu de gens les remarquent, j’étais content de me souvenir qu’on les appelle des «mascarons». C’est un endroit très agréable, agrémenté d’un square de verdure en forme de proue de bateau, qui invite au voyage. Je m’étais attardé au pied de la statue de Henri IV à regarder le ciel sans nuage et les quais de la Seine aux architectures spectaculaires. Je repensais à la soirée que je venais de passer avec mon ami, nous avions parlé de livres, de voyages et de femmes, une conversation intense, chaleureuse, profitable aussi.

Mon regard tournait autour de la statue, je souriais sans doute, et soudain un souvenir très précis me revint en tête. Je devais avoir dix-huit ans, je venais d’intégrer l’hypokhâgne très sélective du lycée Henri-IV et ma fierté était immense. C’était une réussite que je n’avais pas osé espérer à l’époque, j’étais pénétré d’un sentiment inconnu et grisant, celui de faire partie d’une élite. Un professeur m’avait chargé de faire un exposé sur madame Roland : l’idée était d’illustrer les contradictions de la Révolution française à travers le tragique destin de cette femme exceptionnelle. Je ne la connaissais pas alors, mais plus j’en apprenais sur son histoire, plus son personnage me fascinait; je ne savais pas ce qui me touchait davantage : sa séduction, son intelligence ou son courage. Le hasard, peut-être quelque autre fantaisie, m’avait fait traverser l’île de la Cité en direction du Pont-Neuf. Devant un immeuble de la rue Henri-Robert, mon regard s’était arrêté sur une plaque indiquant qu’ici avait vécu madame Roland. Enhardi par mon tout neuf sentiment d’appartenir à l’élite, j’avais surmonté ma timidité et sonné à la porte du dernier étage. C’était une évidence, je devais contempler la vue dont avait bénéficié celle qu’il m’appartenait désormais de célébrer au mieux de mes moyens. Une dame charmante m’avait très bien accueilli, je lui avais raconté des anecdotes qu’elle ne connaissait pas à propos de mon héroïne et elle m’avait félicité. La vue sur la Seine était somptueuse, je crois encore me la rappeler.

Plus d’un demi-siècle avait passé depuis cette visite, et voilà que me retrouvant face à cet immeuble j’éprouvai soudain, sans rien pour le justifier, un esprit conquérant identique à celui d’alors. La plaque apposée sur l’immeuble n’y figure plus et Wikipédia ne mentionne pas cette adresse parmi celles où a résidé madame Roland. Il n’empêche, mon souvenir avait une telle clarté qu’il ne pouvait être trompeur. Je ressentis alors un bien-être intense, où se conjuguaient sans doute la douceur de l’atmosphère, le bonheur de mon dîner et la joie de ce souvenir mineur mais exaltant. Dans cet état de béatitude, l’idée s’était glissée d’écrire des histoires où quelques personnages de ma vie, ou de mon imagination, passeraient tour à tour dans cet appartement de la rue Henri-Robert. Je restai un long moment immobile à convoquer ces figurants et je me rendis compte qu’ils venaient volontiers.

Comme toujours avec moi, le projet a pris du temps, finalement ces histoires les voici.

Le lorgnon mélancolique
Patrick Corneau
19 novembre 2022