Parution Mai 2018


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Bernard Bourrit
Montaigne
Pensées frivoles et vaines écorces

Essai
2018. 232 p. 14/19.
ISBN 978.2.86853.642.6

23,00 €

Le livre

«Au miroir de la philosophie politique, pour laquelle l’action la plus honorable est celle utile à beaucoup, Montaigne se voit comme un poltron qui, par conscience, a renoncé à l’exercice des affaires publiques (c’était une vacation trop lourde où il avait trop peu de moyen d’agir) et dont la seule ambition désormais est de vivre sans nuire ny à moi ny à autruy en jouissant du monde comme il le peut, de manière bien excusable.»

Ceci n’est pas un livre sur Montaigne, ni une introduction à sa pensée, ni un commentaire savant, c’est un livre « avec » Montaigne, écrit avec lui, avec ses mots, pour faire entendre sa voix.



L’auteur

Bernard Bourrit, né en 1977, vit à Genève où il enseigne la philosophie. Il est l’auteur de textes brefs sur l’art brut, les portraits funéraires, les reliques, les doubles dévorants, le scepticisme, la photographie documentaire. Publié dans les revues Critique, La Part de l’oeil, L’Homme, Revue d’histoire des religions, The Black Herald, Poétique, Littérature, Gruppen, il est l’auteur de Fautrier ou le désengagement de l’art (L’épure, 2006) et traducteur de Zheng Yi (Bleu de Chine, 2007), Tsering Woeser, Ge Fei et Jia Pingwa (Gallimard, 2010, 2012, 2017).



Extrait

Montaigne sauvé

Quinze à vingt cavaliers surgissent du bois. Une troupe d’archers les appuie. Il faudrait être ingénu pour ne pas voir que ces coupe-jarrets au visage masqué cherchent aventure : ils cernent Montaigne pour l’empêcher de battre en retraite. Le voilà comme une sourix prinse à la trapelle. À quoi pense-t-il ? Regrette-t-il le voyage entrepris ? Lui qui savait le pays chatouilleux malgré la trêve récente, blâme-t-il sa témérité ? N’opposant aucune résistance, il se rend à ses assaillants. On le traîne dans les halliers d’une épaisse et sombre forêt retirée. On le prive de ses chevaux, on le sépare de ses gens, on fouille ses coffres. Une longue tractation commence alors. Quelle rançon acquittera-t-il ? Lui contestera-t-on le droit à la vie ? Les pourparlers durent. Avant de connaître le sort qui l’attend plus de deux heures s’écoulent à l’issue desquelles on l’assied sur une rosse fatiguée, trop lourde pour espérer fuir sur son dos, et on le flanque d’une vingtaine d’arquebusiers qui font escorte. En un instant, Montaigne perd tout : montures, équipage, argent, et la liberté. Tandis que le captif suivait sans illusion ses nouveaux maîtres, le chef de la bande revient auprès de Montaigne. Pour une raison inconnue et tout à fait obscure, il lui découvre son identité, ordonne qu’on lui rende ses vêtements éparpillés ainsi que sa boyte et ses coffres. Pourquoi, comme on le lit parfois, cette «boîte» lui aurait-elle été rendue, si elle ne recelait que du numéraire ? Je préfère croire, puisqu’il est certain qu’au cours de ce voyage Montaigne portait chez l’imprimeur à Paris les corrections de ses deux premiers «Essais» et le manuscrit du troisième, certain aussi qu’il faisait voyager ses livres dans des «coffres» au milieu de ses hardes, que les feuillets de son ouvrage étaient couchés là, quelque part, et que par une grâce que la littérature seule est capable de susciter, son livre lui ait sauvé la vie.




¶ Mais par une lecture Montaigne veut aussi être chatouill[é]. Opposant les textes plaisans et faciles à la touffeur épineus[e] des ouvrages de sciences, dont avec quelque mépris il laisse l’étude à d’autres, plus avides de reconnaissance, de gloire, à l’âme plus vigoureuse, moins commune, Montaigne rappelle que littérature et plaisir sont intimement liés. Que l’écriture n’est pas au-dessus de la vie, même symboliquement, qu’elle ne rachète pas la peine vécue. La question du destinataire est ainsi évacuée au profit de l’idée que l’écriture est à elle-même sa propre fin, que l’écrivain un suffisant theatre, acteur et public, auteur et lecteur fondus en un.