Parution Mars 2013


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Collectif
Thierry Bouchard


Cahier dix-huit, sous la direction de Christian Hubin et François Lallier
2013. 248 + 24 p. 16,5/24.
ISBN 978.2.86853.571.9

30,00 €

Le livre

Né en 1954, disparu en 2008, Thierry Bouchard fut un des derniers grands imprimeurs-éditeurs-typographes. Sur ses presses, installées à Losne, en Bourgogne, il a réalisé un des plus beaux ensembles de livres dont on puisse rêver, joignant la science des polices et des fontes, des impressions, des papiers, des formats à un engagement éclairé dans la littérature contemporaine, et principalement la poésie, qu’il pratiquera lui-même, discrètement, comme auteur. Il réalisa 115 livres au titre de ses éditions et près de 200 sous forme de coéditions ou d’impressions pour ses amis éditeurs — qui portent les noms de Butor, Bonnefoy, Puel, Juliet, Du Bouchet, Nelli, Hubin, Novalis ou Segalen, entre autres, et ceux d’artistes aussi prestigieux que Zao Wou-Ki, Pierre Alechinsky, Bram Van Velde, Antoni Tápies, Olivier Debré, André Marfaing… Grands illustrés ou petits livres d’une facture extrêment élégante et soignée sortirent des mains de cet artisan exceptionnel dont l’oeuvre, à n’en pas douter, marquera durablement la bibliophilie contemporaine.


Les auteurs

Textes de Yves Bonnefoy, Jean-Yves Bosseur, Michel Butor, Pierre Chappuis, Manuel Cajal, Pascal Commère, Patrice Corbin, Philippe Denis, Pierre Dhainaut, André du Bouchet, Thierry Fournier, Lorand Gaspar, Petr Herel, Christian Hubin, François Huglo, François Lallier, David Mus, Remi Pharo, Yves Peyré, Yves Prié, Gaston Puel, James Sacré.
Peintures de Nasser Assar, Gilles du Bouchet, Olivier Debré, Claude Faivre, Nicolas Fedorenko, Jacques Hartmann, Petr Herel, Franck André Jamme, André Marfaing, Patrice Vermeille, Zao Wou-Ki.
Bibliographie complète.



Extrait

L’homme était à l’image de son art : ténébreux, secret, protéiforme. Sa manie : l’exactitude, celle de l’orfèvre, du luthier ou mieux, du premier violon. Forcément, il se devait d’être intransigeant, aux prises avec les exigences innombrables de son art. Généreux à l’excès aussi, rapide à discerner l’essentiel — le petit détail ou la grande idée — et à le partager. D’une intelligence supérieure qu’exaspéraient l’inertie de la matière et l’ineptie des collègues, il se querellait avec tout, impatient de tout obstacle, jaloux de son indépendance, empressé de réussir auprès d’une œuvre et d’un homme, tous deux devenus chers. Artiste jusqu’au bout des ongles, d’une sûreté de goût et d’adresse qui éclairait, et laissait pantois…

Travailler avec Thierry sur le livre en cours était moitié rude apprentissage, moitié extase, toujours étonnement. L’homme brûlait; le feu lui avait pris au cœur, un feu noir comme la fournaise où bouillonnait le plomb de sa fondeuse. L’étonnement final, c’était de voir sortir d’une telle chaleur — la passion souffrante du métier — des pages fraîches, d’une telle propreté, d’une telle précision lumineuse, comme les caractères neufs, étincelants, qui sortaient à grand fracas et cliquetis du trépidant appareil monotype. Souffrant de ne pas souffrir le moindre gâchis, la plus infime faute de doigté, souffrant de n’avoir jamais assez de temps, assez de place dans l’atelier pour ranger ses machines et son outillage. Souffrant enfin de n’être que lui-même dans les limites qu’un tel art — si vaste — lui imposait.

Parmi toutes ses leçons, je tiens celle-ci pour la principale : que les arts du livre sont saturés du temps, celui de la présence humaine à l’œuvre depuis le fond des âges. «Eux ! — pestait-il, excédé — ils pensent qu’un livre se fait du jour au lendemain !» Réfléchir, calculer, prévoir; essayer, corriger, faire et refaire; réfléchir à nouveau, tout reprendre à zéro; prendre son temps de prendre le temps qu’il faut pour faire ce qu’il faut à l’approche de la perfection voulue… Thierry a eu le temps depuis 1974 de sortir de ses presses plus de 300 livres, chacun d’une distinction rare. À la fin, c’est moins le temps qui lui faisait défaut que les temps, qui se montraient perfides. Depuis longtemps il savait que le terrain où il avait bâti son art et sa passion se dérobait sous ses pieds. Les arts du plomb étaient morts avant lui; le temps du beau livre était révolu. Sans travail — d’ailleurs ne pouvant plus travailler —, il passait ses derniers jours à faire des collages.

David Mus

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