Parution Février 2012


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Sylvie Doizelet
Le voyageur attardé


Récits
2012. 104 p. 14/19.
ISBN 978.2.86853.565.8

14,00 €

Le livre

«Pèlerins, vagabonds, meurtrier l’arme à la main, amiral à la démarche hésitante… tous sont là où ils ne devraient pas, ne devraient plus être. Ils auraient dû passer leur chemin. Quelque chose les a freinés, retenus. Un obstacle mis en évidence par le dessinateur; ou bien un rêve, un instant de rêverie qui dans le destin de ce promeneur va tout décaler, produire un effet de tremblé. Un moment d’inquiétante étrangeté et les repères sont perdus une fois pour toutes.»

Sylvie Doizelet fait ici le portrait de trois artistes visionnaires qui ont vécu et travaillé dans une époque troublée : Alfred Kubin, Henry Moore et Ernst Barlach, également torturés par le chaos dans lequel est plongée leur époque. Ce faisant, elle nous invite à une profonde méditation sur la guerre et sur la place de l’art dans les régimes d’exception (le nazisme en l’occurrence). «Il est si difficile de hanter un siècle en ruine», aurait pu conclure avec elle le poète Auden.



L’auteur

Née en 1959 à Lyon, romancière et traductrice, Sylvie Doizelet a publié, entre autres, Chercher sa demeure (1992) et Nos amis des confins (2009). Elle a également traduit Birthday Letters de Ted Hughes, et présenté Sylvia Plath, William Blake, Thomas de Quincey et autres «amis invisibles».
À nos éditions, elle est l’auteur, avec Jean-Claude Pirotte, de Les périls de Londres.


Extrait

Il est des êtres qui toujours s’attardent. Le moment est venu de prendre congé, quitter les lieux, mais c’est plus fort qu’eux, il leur faut rester un moment encore, voler un peu de temps.

Il est des années qui, oubliées des livres d’histoire, sont pleines de moments étranges. Mille neuf cent onze. À Munich, le peintre Eugène Kahler peint ses dernières toiles, avant de retourner à Prague, sa ville natale, pour y mourir, au mois de décembre. Il a tout juste trente ans. À Munich toujours, Paul Klee et Alfred Kubin se rencontrent, deviennent amis. 1911. Dans un an, Oskar Kokoschka va rencontrer Alma Malher, et peindre une Visitation. La femme est nue, mais tellement absorbée en elle-même qu’elle n’éveille pas le désir. Retracer l’histoire d’Alfred Kubin et, déjà, être ailleurs, avec Mahler, Klee, Kokoschka.

Oskar Kokoschka, Alfred Kubin. Tous deux ont écrit un livre de Mémoires, l’ont appelé Aus meinen Leben, Ma vie. Ma vie, de Kokoschka, est une autobiographie classique. Écrite au bon moment, à la fin, regard rétrospectif. Une vie pleine. Une déchirure, à l’âge de 27 ans — cette femme, Alma, qu’il rencontre alors qu’elle vient de perdre son mari, Gustav Mahler. Oskar Kokoschka est jaloux du mort, il guette toutes ses apparitions dans le quotidien d’Alma. Il peint La tempête, ces deux corps enlacés que le poète Trakl rebaptise «fiancée du vent», ce tableau qui au musée de Bâle attire comme un aimant, prend toute la place, efface ceux qui l’entourent. Kokoschka a peur de perdre Alma, il perd Alma et l’enfant qu’elle attendait de lui : «Elle entra dans une clinique et permit que l’on prenne l’enfant, mon enfant». Cet enfant, on le voit sur le tableau Nature morte avec putto, chat et lapin. Une maison rouge, un paysage désolé, une étoile, un lapin pétrifié, un chat à tête de femme et, tourné de l’autre côté, ce drôle d’enfant, séparé, mis à part. Dans la vie d’Oskar Kokoschka il y a ce passage douloureux. Puis la guerre, une blessure, très grave : balle dans la tête, coup de baïonnette au poumon. L’exil, Prague, Londres. Une nouvelle femme apparaît, devient sa compagne, sera là jusqu’au bout. Oskar Kokoschka meurt en 1980, il survit soixante-sept ans à l’épisode Alma, il survit aux deux guerres, il voyage, il peint, il enseigne, il observe, il témoigne. Il est un homme et un artiste accompli. Sa vie est pleine, traversée d’éclairs étranges, ces états seconds qu’il choisit d’appeler vertiges, il aime parler du vertige, peindre le vertige, se sentir point minuscule emporté dans le tourbillon. Il parle aussi de ce qu’il appelle ses tableaux prémonitoires. Il peint Auguste Forel, qui refuse le portrait — «J’ai l’air d’avoir subi une attaque cardiaque», se plaint-il — et deux ans plus tard, l’attaque cardiaque est là. Un autre exemple, Emma Veronika Sanders. «Elle m’avait fait l’impression, pendant que je faisais son portrait, d’être distraite… Elle était visiblement totalement absente en pensée et ses grands yeux tristes fixant le vide éveillèrent en moi l’impression d’une folle, — comme si j’avais pu pressentir qu’on l’enfermerait plus tard dans un asile d’aliénés.» Capter à l’avance l’image de ce qui vient.

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