Parution Mars 2010


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Bertrand Redonnet
Géographiques


Divagations
2010. 96 p. 14/19.
ISBN 978.2.86853.532.0

15,00 €

Le livre

«Pour saisir à pleines dents le monde dans ce qu’il a de sincère, il faut d’abord bien entendre ce que disent les mots qui le désignent. Parce que c’est par là qu’il est passé, le monde, pour arriver jusques à nous. Il faut renverser les vocables afin que leur fond remonte à la surface, en voir toutes les facettes, en extraire la substantifique moelle et apprécier les grandes dates de leur histoire. Sinon, on passe à côté des mots sans les voir, on les dit sans leur musique, on les récite et, partant, on parle du monde avec des silences. »

Une longue et joyeuse conversation réunit poète, géographe, climatologue et autre esprit pseudo-scientifique autour d’une table où le vin hongrois coule généreusement. Bertrand Redonnet y fouille la langue, questionne les paysages pour habiter le monde passionnément. L’amoureux d’étymologie nous donne là une démonstration jubilatoire du pouvoir de la poésie et de la littérature : « Elles prétendent dire l’état du monde, dans sa beauté comme dans sa laideur… »

L’auteur

Bertrand Redonnet est né dans laVienne en décembre 1950. Après avoir fait des études de sociologie à Poitiers, il a été tour à tour employé de l’Éducation Nationale, correcteur, bûcheron…
Guitariste passionné de littérature, il a composé des poèmes et des chansons, a interprété Brassens à qui il a consacré un essai : Brassens, poète érudit (Arthemus, 2001).
Il a quitté les côtes de l’ouest (Charente Maritime) pour l’est de la Pologne sur la frontière biélorusse où il vit actuellement, en exil volontaire, et où il se consacre, un peu tardivement comme il le dit lui-même, à la littérature.
Il a publié à nos éditions Zozo, chômeur éperdu (2009).


Extrait

«Souffrez, madame, que j’avoue enfin l’inclination que depuis tant d’années m’inspire votre noble personne.»
Voilà qui était joliment formulé. Le buste respectueusement penché en avant, chapeau tenu dans la main droite et serré sur le cœur, la gauche, sinistra, celle qui porte le malheur et n’avoue jamais ses véritables desseins, bien repliée derrière le dos.
Tout ça pour dire, peut-être, que l’étendue de votre patrimoine et la prospérité de vos rentes annuelles m’intéressent au plus haut point ou, beaucoup moins trivial, la nature vous a dotée d’appas tellement suggestifs que l’idée d’en faire plus ample connaissance m’obsède.
Il n’eût cependant pas fallu que le melliflu, souffrant de quelque confusion de vocabulaire ou embarrassé de sa propre duplicité, s’emmêlât les crayons au point de décliner en s’inclinant son inclinaison. Il eût ainsi détruit la belle substance métaphorique de l’inclination et pour une telle marque de goujaterie eût sans doute été éconduit sans passer par l’étude notariale ou, bien pire, par le déduit.
La belle langue classique savait donc se bien pencher sur les mots. Avoir une inclination, un penchant, être enclin à … C’était du latin fraîchement tiré de la source. Tandis qu’une inclinaison, elle, ne désignait et ne désigne toujours d’ailleurs, par glissement du premier mot, qu’un plan strictement géométrique. Une obliquité. L’inclinaison de la planète terre, par exemple. Un climat.
Un climat ? Comment ça un climat ? Quel climat ?
Un climat, oui messieurs. Votre cher et maître mot. Un des plus beaux mots de la langue française, un mot qui a beaucoup vu. Un mot de voyageur. Ouvert à tout vent, conjugué à bien des temps et qui essuya bien des intempéries.
Il nous est venu du grec helléniste klima, signifiant littéralement une inclinaison. Que le latin a repris avec son clima pour dire encore plus précisément que les grecs, l’inclinaison du ciel, la voûte céleste.
Mais la voûte céleste, c’est quoi au juste ? Ce n’est qu’une partie du ciel. Une portion de ciel. Un pan de l’azur réduit à notre échelle, un bout qu’on voit d’un point bien précis de la terre, celui où l’on se trouve. Quand on dit «le ciel», en fait, on use d’une métonymie passée au langage courant.
On devrait dire «la partie de ciel que j’aperçois d’ici». Et le mot climat qui, par ses racines, prend bien soin que soit considérée l’inclinaison de la terre, dit d’abord cet aperçu contraint par la géographie.
Il évoluera bientôt vers une autre métonymie remarquable. Ce que l’on voit deviendra l’endroit d’où l’on voit. Le mot abandonnera ses origines aux nuages et redescendra lentement sur terre. Il se renversera cul par-dessus tête.
Il dit maintenant un pays, un bout de terre, une contrée, et tout ça sous un certain ciel. En un mot comme en cent, une latitude.
Allons donc, que nous chantez-vous là, joyeux poète ?
Vous jouez des mots comme d’une lyre. Une latitude ! Mais une position, un point d’observation comme vous le dites si bien, se définit aussi par une longitude. La condition sine qua non à l’existence d’un point, nous a-t-on appris à l’école de Descartes, nous autres, c’est qu’il y ait des abscisses et des ordonnées, voyez-vous.
Oui, oui, bien évidemment. Je parle pour l’heure du mot précis, de son histoire et je lis que le Littré — aurez-vous l’audace de me contester le Littré au prétexte qu’il n’est, certes, pas un livre de la science ? — définit le climat comme un espace, celui « compris, sur la mappemonde et les cartes géographiques, entre deux parallèles à l’équateur terrestre ». Ces parallèles limitent donc des contrées du point de vue de leur position à peu près identique relativement à l’équateur et à un des deux pôles mais, comme ils font aussi le tour de la planète, ils délimitent également des positions longitudinales, n’est-ce pas ?
Des pays où le temps qu’il fait est, du coup, à peu près sujet aux mêmes influences. Et par métonymie encore une fois — la plus belle des figures de style et qui n’est en somme qu’une métaphore affinée — le climat est devenu l’ensemble des conditions météorologiques, conditions globales faites à la vie et qui règnent sur des régions du globe situées, approximativement, sur une même latitude.
Oui, admettons. Mais que voulez-vous nous dire plus précisément ? Il nous semble que vous nous parliez, lors de votre premier tour de passe-passe en forme de métonymie, de pays et de régions. Et voilà que nous en arrivons enfin à appeler un chat un chat. Un climat, un ensemble de circonstances atmosphériques et météorologiques propres à une ou des régions du globe.
Ah, messieurs, quoique par ailleurs d’une exquise compagnie, que vous êtes donc réducteurs ! Vous me récitez là, tout bonnement, le Petit Robert, le Larousse ou tout autre condensé de la vulgarisation didactique.
Pour saisir à pleines dents le monde dans ce qu’il a de sincère, il faut d’abord bien entendre ce que disent les mots qui le désignent. Parce que c’est par là qu’il est passé, le monde, pour arriver jusques à nous. Il faut renverser les vocables afin que leur fond remonte à la surface, en voir toutes les facettes, en extraire la substantifique moelle et apprécier les grandes dates de leur histoire. Sinon, on passe à côté des mots sans les voir, on les dit sans leur musique, on les récite et, partant, on parle du monde avec des silences.
Je vous ai tout d’abord parlé de pays parce que ce fut le premier glissement de sens du mot climat. Sa descente sur terre. On dit bien, s’adressant à qui habite au loin, sous vos climats, sous vos latitudes ?
Un grand humaniste, ce mot. Il a cessé de désigner une terre pour dire les conditions des ambiances humaines. Son parcours est édifiant : Inclinaison par rapport au soleil, morceau de ciel, région de la terre, et finalement conditions faites à la vie. N’est-ce pas beau, un mot pareil ?
Mais il a voulu dire mieux encore, se rapprocher au plus près des hommes. Un véritable zoom. Plus qu’un pays, il peut dire un lieu, un champ situé à deux pas de votre maison. En Bourgogne, pour désigner la belle exposition d’un morceau de vignoble, par exemple. Les vignes du père Machin bénéficient d’un des meilleurs climats de la commune.
Tenez, en Charentes également, un village pourra être appelé «climat» pour désigner la qualité de son eau-de-vie et, pour venir des Charentes, je sais l’importance qu’on accorde là-bas au parfum d’une eau-de-vie. Voyez alors comme nous sommes loin et en même temps tellement près de l’inclinaison de notre terre !
On peut encore ajouter une métaphore à la métonymie première et faire dire à ce climat l’ambiance d’une situation humaine. C’est assez vous dire sa présence partout autour de nous !»