Parution Janvier 2010


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Léon Tolstoï
Le Père Serge


Roman traduit du russe par
J.-W. Bienstock. Préface de Jil Siberstein
2010. Collection Corps neuf
96 p. 12/18.
ISBN 978.2.86853.531.3

8,00 €

Le livre

L’individu «animé d’un immense amour-propre», dont le but est d’«atteindre la perfection et le succès dans toutes les entreprises, et d’obtenir ainsi l’admiration et les louanges de son entourage», cet individu-là, brusquement contrarié dans son élan par un détail qui l’insupporte, peut-il, tournant le dos au monde, se consacrer à Dieu ? Ou bien, pour être plus précis : si la décision d’un tel être se trouve motivée par le désir de montrer à tous son mépris, se peut-il que, libérant alors une religiosité jusque-là étouffée par son orgueil, il se délivre de la pesanteur grâce à la soumission aux règles monastiques et ascétiques ? Telle est, brièvement exposée, la problématique du Père Serge.

Cette longue nouvelle qui, pour être souvent passée inaperçue dans l’œuvre de Tolstoï, n’en constitue pas moins, en même temps que son écrit le plus serré, le plus fondamental, une parabole à la fois violente, sobre et universelle digne de prendre place parmi les grands témoignages spirituels
.



L’auteur

Du comte Lev Nikolaévitch Tolstoï (1828-1910) Trotski a écrit : «Moraliste mystique, ennemi de la révolution, Léon Tolstoï nourrit l'esprit révolutionnaire des croyants… Négateur de la culture capitaliste, il devint, à quatre-vingts ans, le symbole de la libération.»



Extrait

Dans la décade des années 40, il arriva à Pétersbourg un événement qui étonna tout le monde : le commandant du régiment des cuirassiers de l’empereur, le beau prince à qui tous prédisaient qu’il serait l’aide de camp de l’empereur Nicolas Ier, et que la carrière la plus brillante l’attendait près de Sa Majesté, un mois avant la date fixée pour son mariage avec une demoiselle d’honneur, jeune fille d’une beauté remarquable, et qui jouissait de la faveur particulière de l’impératrice, donnait sa démission, rompait avec sa fiancée, faisait don de sa petite propriété à sa sœur, et se retirait au couvent dans l’intention de se faire moine.
Cet événement paraissait extraordinaire, inexplicable, pour qui n’en connaissait pas les raisons intimes. Mais pour le prince Stepan Kassatzky tout cela était arrivé si naturellement qu’il ne pouvait même se représenter comment il aurait pu agir autrement.
Quand son père, colonel de la garde en retraite, mourut, il n’avait encore que douze ans. Quelque pénible qu’il fût pour sa mère de ne pas garder son fils près d’elle, elle ne crut pas devoir enfreindre la volonté de son défunt mari, qui avait recommandé, en cas de sa mort, de ne pas garder son fils à la maison, mais de l’envoyer au Corps des Cadets. Et elle l’y envoya.
Quant à la veuve, elle se rendit à Pétersbourg avec sa fille Varvara, afin de vivre là où était son fils et de l’avoir près d’elle les jours de sortie.
L’enfant était brillamment doué et avait beaucoup d’amour-propre, aussi était-il le premier en tout, surtout en mathématiques, pour lesquelles il avait des dispositions particulières, ainsi que pour les exercices militaires et l’équitation.
Malgré sa taille bien au-dessus de la moyenne, il était beau et agile. Outre cela, par sa conduite, il eût été un élève modèle, s’il n’avait eu contre lui son emportement. Il ne buvait pas, ne faisait pas la noce, et était remarquablement loyal. La seule chose qui l’empêchait d’être un modèle tout à fait parfait, c’étaient les accès de colère qui le prenaient par moments, et au cours desquels il perdait complètement possession de soi-même et devenait une véritable brute. Une fois, il avait failli jeter par la fenêtre un cadet qui s’était moqué de sa collection de minéraux. Une autre fois il se jeta sur un officier, et on disait qu’il l’avait frappé, parce que celui-ci niait ses propres paroles et disait un mensonge. Il eût été sûrement dégradé si le Directeur du Corps n’avait étouffé l’affaire et renvoyé l’officier.
À dix-huit ans, il sortit officier et entra dans le régiment aristocratique de la garde. L’empereur Nicolas Pavlovitch l’avait vu quand il était au Corps, et le distingua au régiment ; de sorte qu’on lui prédisait qu’il deviendrait aide de camp de l’empereur. Et Kassatzky le désirait fortement, non seulement par ambition, mais parce que, encore du temps qu’il était au Corps, il aimait passionnément, précisément passionnément, l’empereur Nicolas.