Parution Septembre 2011


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Catherine Rey
Plus calme que le
sommeil


Récit
2011. 64 p. 13/17.
ISBN 978.2.86853.562.7

11,00 €

Le livre

«Je ne peux dire que nos cris et nos larmes quand sur toi je ne me suis pas retournée car, si les trompées hurlent à l’injustice, les trompeuses rasent les murs et désertent sans s’attarder. Le chemin par lequel je suis passée est la pire des routes. Me faudrait-il arracher trois cheveux à la tête du diable pour te guérir de mes tourments, je le ferais. Voilà ce que je suis venue t’écrire.»
Ce texte est une longue lettre d’amour que Catherine Rey adresse à celui qui avait partagé son ancienne vie, époux «mort sans en avoir rien dit», qu’elle avait tôt quitté pour vivre une vie d’aventure et «façonner des formes» — et c’est une amère confession pleine du remords d’avoir blessé et du regret d’avoir «méprisé la douceur des joies simples», le constat terriblement émouvant de l’innocence à jamais perdue.



L’auteur

Catherine Rey est née en 1956 à Saintes. Elle a publié ses quatre premiers livres au Temps qu’il fait entre 1994 et 2001 (L’ami intime, Les jours heureux, Éloge de l’oubli et Lucy comme les chiens), puis Ce que racontait Jones, Une femme en marche (Phébus, 2003 et 2007) et enfin Les extraordinaires aventures de John Lofty Oakes (Joëlle Losfeld, 2010). Elle vit depuis plusieurs années en Australie.



Extrait

Mon bien aimé que j’ai mal aimé,

La nuit est tombée et mes cheveux ont blanchi. Je veux te demander pardon avant qu’il ne soit trop tard, car viendra le jour où j’oublierai quel bourreau je te fus. Je ne veux pas m’oublier pour le mal que j’ai fait. J’aurais voulu t’écrire une vraie lettre d’amour, de celles où l’on chante les délices partagées. Puisque nous fûmes l’un à l’autre nos premiers je t’aime, j’aurais voulu peindre les cahots d’une existence où l’ivresse devient tendre tristesse. Mais je ne peux dire que nos cris et nos larmes quand sur toi je ne me suis pas retournée car, si les trompées hurlent à l’injustice, les trompeuses rasent les murs et désertent sans s’attarder. Le chemin par lequel je suis passée est la pire des routes. Me faudrait-il arracher trois cheveux à la tête du diable pour te guérir de mes tourments, je le ferais. Voilà ce que je suis venue t’écrire.

*

J’ai couru de par le monde et, toi, tu m’attendais. Tu ne t’es jamais lassé. Dans le trou de ton attente, je me suis logée. Du trou de ton attente, je me suis nourrie. L’amour que je t’ai porté fut une fête cannibale. Ta vie, je l’ai mangée. Juste retour des choses, aujourd’hui c’est la mienne que tu manges. Je suis la veuve évidée du passé qui fut nôtre. Tu ris. Tu songes qu’il y a un prix à payer, et que la note que l’enfer me tend est trop légère pour racheter mes fautes. Le destin s’amuse. Tu as raison. Rien ne lui échappe. Il tient de nous un compte minutieux. Qui est à l’affût, un carnet à la main, notant chacun de nos gestes, chacune de nos pensées et chacun de nos rêves ? Qui nous garde en réserve dans de profondes jarres au saloir de l’hiver ? Qui nous ressortira au printemps pour se faire un festin de nous voir suffoquer au vent de nos mensonges ?

*

Me prendrait-il, le douloureux désir de pousser notre porte, ta mort a changé la donne et verrouillé l’entrée. Revenir. Une fois encore, revenir, comprends-tu ? M’attarder sur notre seuil pour respirer, paupières closes, l’odeur familière. M’asseoir à mon ancienne place. Rien ne manquerait. Ni l’horloge qui hache menu le temps, ni la huche à pain, ni ton cœur si offert dans tes deux mains ouvertes. Te trouver attablé dans la pièce de devant, les yeux tournés vers moi. Tu m’enlaces. Rien que nous deux. Le connais-tu, le doux songe de se délester du fardeau ? L’imagines-tu, ce retour tant attendu, toi à qui la mort a offert son premier grand départ ?

*

Qui m’attend aujourd’hui ? Qui m’adore assez pour m’attendre et la nuit et le jour ? Qui souffre à l’autre bout du monde de me savoir si seule à l’autre bout du monde ? Qui est l’autre moitié de mon désir ? Et de qui suis-je le manque ? Mes parents ne sont plus. Et toi, malheureux, pourquoi as-tu rejoint la vaste armée des ombres ? Quelle idée t’a pris d’aller chevaucher à leur suite ? Tout ce qui était nous, tu l’as balayé d’un revers de main. Tu étais mon bateau à l’ancre, mon phare sur le rivage. Tu étais le visage de mes forfaits. Si j’étais la criminelle, tu étais mon cadavre et nous pouvions rejouer sans nous lasser au même jeu cruel. Je t’aime. Je te tue. Mais il ne reste rien de tout ça. Pourquoi n’en as-tu pas honte ?

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