Parution Avril 2021


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Bénédicte Cartelier
Reliefs


Sortes de chroniques moitié-humoristiques sur la cuisine

2021. 240 p. 14/19.
ISBN 978.2.86853.671.6

21,00 €

Le livre

«Ce recueil aurait pu s’appeler “Stromates”, mais il ne traite que d’un sujet. “Miscellanées” était pris, et je pensais avoir épuisé les termes apparentés.
Épuisé ? C’était sans compter les ressources de notre langue mère. Satura désigne en latin un plat garni de toute espèce de fruits et de légumes, une sorte de macédoine, ou un ragoût, ou encore une farce. Et que sont d’autre que mes stromates ? J’aurais donc volontiers choisi satura, si je n’avais entendu derrière ce mot le redoutable datura. Vénéneuses mes nourritures ? Je n’aurais garde d’empoisonner le lecteur.
Alors, j’ai choisi Reliefs, précédemment omis, et qui me semblait convenir, aussi bien parce que j’espérais que mon ouvrage n’en manquât pas, que parce que ce mot me plaît qui désigne ce qu’on relève de la table après un repas, la desserte, les restes.
Aussi, humble rat de ville, je vous invite, chers lecteurs, aux reliefs de ma modeste table qui ne sont pas tous, hélas, d’ortolans.»




L’auteur

Bénédicte Cartelier, née en 1970 à Paris, est haut-fonctionnaire. Elle collabore depuis quelques années à la revue Papilles éditée par l’association des Bibliothèques gourmandes. Après Ripopée (Le temps qu’il fait, 2018), c’est le second livre de l’auteur que nous publions ici.



Extrait


Délices de l’entame



Je me souviens qu’enfant, j’adorais briser la surface unie d’un pot de miel cristallisé, plonger ma cuillère dans une crème tout juste refroidie, trancher la chair moelleuse d’un gâteau. À chaque fois, l’excitation du geste définitif et l’attente des autres convives redoublaient un plaisir d’autant plus vif que j’en jouissais seule : le privilège de l’entame ne m’était guère disputé grâce à mon statut de benjamine, et sans doute aussi parce que ni mes parents, ni ma sœur n’y étaient aussi sensibles que moi.
Ce plaisir que je ne cachais pas, je dus y renoncer un jour après que ma mère l’eut comparé à la fascination des hommes pour la virginité. C’est comme si elle avait dit que la jouissance que j’éprouvais à déchirer la peau laiteuse du riz au lait équivalait à celle d’un homme rompant l’hymen d’une vierge. Bien sûr, elle ne l’avait pas exprimé en ces termes. Elle n’avait même pas eu besoin de dérouler entièrement sa pensée, j’avais surpris le mot «virginité» prononcé à mi-voix à l’oreille de mon père, et j’avais été brutalement déniaisée, comme on disait jadis d’un jeune homme qui est allé chez une prostituée.
Les délices de l’entame me furent dès lors interdites, du moins ouvertement. Elles n’en furent que plus vives, au point de demeurer intactes dans ma mémoire après toutes ces années. Aujourd’hui encore, je retiens mon souffle avant d’ouvrir l’opercule d’un yaourt et ma main tremble quand je découpe le premier quart de camembert.



Manger du muguet


À peine est-on entré dans la ville et déjà elle vous prend. C’est léger, au début, on la voit plus qu’on ne la sent. Sur les trottoirs, aux carrefours, dans les vitrines des fleuristes, partout la fleur a envahi la rue. On en achète un brin en cornet ou trois griffes dans un pot, toujours en nombre impair et toujours sans la rose. Rouges, jaunes, roses et même blanches, elles gâteraient par leur odeur puissante le frais parfum si volatil des petites clochettes blanches.
Le Premier mai, tôt le matin, courrez acheter votre brin. Le muguet aura alors toute sa force. Ses notes herbacées vous enivrent et l’on se plaît déjà à imaginer les beaux jours. Demain, il sera trop tard, le muguet aura fané et ses fleurs vénéneuses auront gâté l’eau du vase. Malheur à ceux qui la boivent. Certains chats en sont morts.


Du même auteur :

Ripopée (2018)